La première scène de Young Hearts est musicale : le film s’ouvre sur le tube du père d’Elias mettant en chanson un premier amour, sa magie, sa tendresse. Un aperçu de ce que sera ce premier film d’Anthony Schatteman : un récit amoureux entre deux jeunes garçons, Élias et Alexander, son nouveau voisin venu tout droit de Bruxelles. La genèse de l’homosexualité précoce entre ces deux enfants ne concerne initialement que l’un des deux : Elias, qui semble avoir un coup de foudre pour son nouveau voisin dès l’instant où il le voit à travers la fenêtre de chez lui. Un premier contact visuel qui aurait pu sembler banal, pourtant, le cinéaste décide d’isoler le visage d’Elias dans le cadre et de fixer Alexander à travers les feuillages et la vitre. 

Le regard d’Elias sur Alexander évolue au fur et à mesure du film, mélangeant passion, amour, admiration, pour aller parfois jusqu’à un certain mimétisme : Alexander crache au bord du lac, alors son adorateur l’imite , le suit, tel un clone aveuglé par son amour. D’ailleurs Elias semble perturbé par ce mot : amour. On arrive à se demander, souvent s’il est vraiment amoureux de Valérie et/ou d’Alexander. Son père semble en connaître beaucoup sur l’amour si l’on s’en tient aux paroles de son tube dont il est si fier – au point d’en oublier sa famille (sauf lorsqu’il est question de venir le voir chanter, toutefois). Une inconstance amoureuse se fait ressentir, donc, chez Elias, tiraillé entre Valérie – qu’il ne semble pas réellement aimer –, Alexander, et la peur des réactions, des autres, de sa famille car comme il le dit, il ne connaît « pas de garçons qui sont amoureux d’autres garçons ».

En dehors de ce superbe amour tentant de s’affranchir de toutes pensées conservatrices, le film d’Anthony Schatteman manque cruellement de saveur, tombant parfois dans le teen movie lisse et indélicat. Le spectateur ne peut profiter d’un plan puisque le cinéaste veut cocher tout plein de cases : le topos d’un amour solitaire à travers les champs, le voyage à Bruxelles, les rapprochements au piano, la rencontre nocturne, les balades à vélos… Enchaîner les plans et introduire des idées sans les développer laisse pourtant derrière un film en suspens, que l’on aimerait voir terminé. Une fois les cases cochées, et le cahier des charges rempli, Young Hearts s’accompagne parfois d’une musique style lo-fi aussi délicate que le film. Car, malgré la douceur de ce premier long-métrage et de son happy end, nous nous demandons où le cinéaste nous emmène. Triste acte manqué pour un film au sujet aussi important et délicat aujourd’hui.


Young Hearts, Anthony Schatteman, 2025


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