Le 5 septembre 1972, les Jeux Olympiques de Munich sont frappés d’un coup de foudre, ou plutôt de coups de feu. Huit terroristes palestiniens prennent en otage des athlètes israéliens dans leur sommeil. Une journée de terreur qui s’oppose drastiquement à l’enjouement procuré par les Jeux.
Pour son quatrième film, Tim Fehlbaum se réapproprie cet événement en choisissant de ne pas se pencher sur le contexte géopolitique entre Israël et la Palestine — car nous ne pouvons que le connaître de nos jours, étant, tristement, toujours d’actualité —, mais en abordant le sujet sous le prisme du journalisme. Dans un sublime huis-clos, nous assistons aux back-stages de la première émission qui diffusait en direct un acte terroriste, suivi par près de 900 millions de téléspectateurs, un spectacle désolant en totale dialectique avec la scène introductive du film montrant des images d’archives de l’ouverture de ces JO. Lorsque l’information de la prise d’otage arrive aux oreilles de la chaîne ABC présente sur place, à quelques pas du village olympique, nous, spectateurs, avons simplement entendu des coups de feu tandis que la caméra semblait filmer le village olympique par l’embrasure d’une fenêtre des studios. Commence alors une véritable course à l’information durant tout le film pour être le premier à connaître chaque détail de l’affaire avant une autre chaîne concurrente. Le but n’est pas seulement de filmer et commenter la prise d’otage, mais il se joue surtout un contre la montre parfois écoeurant tant on se rend compte que la prise d’otage ne devient qu’un terrain de jeu pour la chaîne qui touche parfois à un certain voyeurisme pour obtenir les meilleures prises de vues, informations.
Par son utilisation du huis-clos, Tim Fehlbaum chasse toute réelle image de violence de son film, les délaissant en hors-champ, pour les laisser apparaître de manière plus forte : par des visages (comme lorsque Geoffrey, ou Geoff, apprend le décès des otages) ou des aperçus de coups de feu (premièrement lorsque l’on les entend retentir depuis les studios, puis à l’aéroport, la caméra coincée derrière les grilles). En ne filmant pas la mort, la souffrance, le cinéaste montre à quel point il ne souhaite pas faire de son film un simple thriller, mais plutôt un véritable thriller journalistique — le choix se pose d’ailleurs dans le film : « filmer la mort » face à tant de spectateurs, dont des familles, ou bien préserver l’audience. Dans ce film où le mouvement fait partie intégrante d’un récit qui ne s’essouffle pas, où le choix de caméra à l’écran se fait en instantané, l’inventivité réside dans cet enfermement dans les studios. À quelques pas de là, un groupe de terroristes est en pleine négociation avec la police allemande et un ensemble d’otages espèrent leur libération ; pourtant, nous sommes enfermés dans les studios parfois labyrinthiques à force des allers et venus, des sprints répétitifs à chaque coup de fil et chaque annonce. Pourtant il n’y a guère de frustration, toute information nous vient depuis des téléphones, radios et télé : Tim Fehlbaum nous plonge bel et bien dans le rythme effréné de cette véritable et accablante journée. Aux multiples alternances de caméra à l’écran, aux innombrables sonneries de téléphone, aux coups de feu, aux annonces morbides répond un souffle, celui de Geoff en guise de scène finale dans sa voiture.
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