Cette année, Littér’art parvient à Cannes, un peu à part, certainement en dérobée, mais avec une bonne fenêtre sur une édition riche, faste ? On arrive un peu tard : première soirée à l’ACID le samedi 16 juin, premier échec, je rate l’entrée de peu sans avoir pu récupérer mon carton d’invitation. Le festival commencera vraiment le lendemain, avec la présentation d’Entroncamento de Pedro Cabeleira, dans la section parallèle de l’ACID, à 10h30, Studio 13.
Prendre le flot
Je découvre Cannes en plein battement de foule. Ça navigue, ça coule à flot, sur la promenade qui longe les plages privées, les boutiques de luxes, les limousines qui ne semblent pas nécessairement être garées pour les films ou les yachts qui s’imposent à l’horizon. Ce flot peut vous prendre, il peut aussi sembler noyer les films qui s’y agitent. Alors, le choix de la restriction s’impose et les sections parallèles, moins prisées des journalistes internationaux, permettent de recadrer le festival. Mettant en avant d’autres conceptions de son industrie et des outils cinématographiques, l’ACID (Association du Cinéma Indépendant pour sa Diffusion) promeut malgré tout le rapport social du cinéma, la circularité des films, de leurs idées, de leurs matières. Jeune ambassadeur de l’association (le biais sera revendiquée), j’assiste à une rencontre avec Léo Couture, un des trois réalisateurs de Laurent dans le vent, également présent à la sélection. Ému d’avoir achevé le film, il nous fait part avec beaucoup de proximité de son vécu, plus que de son métier, de ce que c’est que de vivre la création à une échelle moindre, à une attention peut-être supérieure. Couture est réalisateur et homme-son : ingénieur du son, mixeur, perchman. Il nous explique ce que cela signifie, la proximité du son, son travail, ce qui fait son aussi et puis le truc. Comment ça marche, comment les bandes enveloppent et dévoient le film ? Il nous parle de l’IA, sans peur théologique mais avec la connaissance du truc, et la certitude qu’un film ne se construit que dans son jeu et son bidouillage. J’écouterai dans les jours à venir. Aujourd’hui, Entroncamento débute en retirant tout faste et toute richesse. Le film a l’âpreté stylistique d’un naturalisme qui, sans être nouveau à Cannes, marque directement la ligne éditoriale de l’ACID. Dans le cinéma portugais social, qu’on pourrait facilement stratifier en un genre, il inclut pourtant une tension qu’un spectateur a rattaché au « cinéma américain des années 70 ». Le film témoigne d’une autre circularité, du genre des mafieux ou du trafic, celle des spirales d’un milieu, de circulations familiales et d’une petite périphérie, Entroncamento. Tout y tourne en rond, en témoignent les autres motifs circulaires, du drift en carcasse à la comptine sur hoverboad. En ce sens, Cabeleira semble bien ressasser Mean Streets, Scorsese intime, les déboires, les réseaux, l’assise masculine. Il fonctionne mieux quand il en intègre l’expressivité, c’est-à-dire sincérité et constance du cercle, qu’on retrouve dans la dureté sociale de l’environnement de nuit (on parle de ses passagers). Mais cette spirale se réduit souvent au contraire à des situations exploitées jusqu’à l’amollissement, trafic de l’omniscience scénaristique : tout figurer, chaque variante, possibilité, faire saigner la chaîne de la violence sans jamais en saisir ni monstration ni figuration.
À 15h, le réel s’impose en parallèle au génocide qui continue à Gaza et partout en Palestine : la table-ronde de l’ACID confronte autour de la question des captations de la guerre Sepideh Farsi, réalisatrice de Put Your Soul on Your Hand and Walk, et Yelizaveta Smith, Alina Gorlova, Simon Mozgovyi, de Militantropos. Il faudra en reparler, réitérer ces rencontres nécessaires qui recadrent également le festival vers ce qui se déroule en dehors : non seulement en dehors des films, de leurs diffusions, de son industrie, c’est-à-dire en revers. Peu de drapeaux palestiniens à Cannes, mais des discussions qui se diffusent et la conscience, en parallèle, qu’il faudra « faire du film un outil », pour reprendre les termes de Farsi, plutôt que de laisser les représentations aux forces coloniales et impérialistes.
On titube
Après, soirée à la critique. Premier film, on s’y jette, hop, file de dernière minute. Il y a les premiers retards (les « no shows » sanctionnés) et les admissions hasardeuses. Des preuves d’amour d’Alice Douard, ce portrait de l’adoption d’un enfant par un couple lesbien, démarre plus dans l’exemplaire que dans le témoignage. Tout y est forcé pour inscrire une époque dans la légende (les victoires du gouvernement Ayrault), tout y rappelle un narcissisme vidé jusqu’à sa moelle de conflits publicitaires (la jeune DJ et la mère pianiste, l’envie d’enfanter et la peur des meubles IKEA). Nous n’irons pas à la soirée du film sur la plage d’enfance. A la place, La Petite Dernière de Hafsia Herzi, autre portait queer, nous intéressera bien plus. Il ne faut pas hésiter à emprunter d’autres voies que celles de la croisette pour trouver quelques pavés sur lesquels trébucher.
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