Le lendemain, réveil complexe, bus et circonvolutions : j’arrive tout juste à l’heure, enfin presque en retard.
Genre et classe
La Petite Dernière est une des surprises de la sélection, un troisième film qui affirme la mise en scène de Herzi. La réalisatrice et actrice, révélée par Abdellatif Kechiche dans La Graine et le Mulet, réitère une forme de naturalisme, sans les excès surréels : jamais l’approche sociale ne devient ici le prétexte pour un regard voyeur ou des fétiches réifiant, au contraire Herzi rebat les cartes en proposant une nouvelle approche des corps, individuels ou sociaux, depuis le regard de Fatima, découvrant sa sexualité. La Petite Dernière semble parfois s’apparenter à un film de surplace, en témoigne sa construction cyclique en saisons, un peu convenue. Par moments, l’extase surgit. Les scènes de boîtes de nuit, cahier des charges de n’importe-quel film catégorisant une forme de jeunesse urbaine, font écho à celles que filmait Douard, elles ne s’en éloignent que plus. Dans ces scènes, la lutte trouve réellement une concrétude filmique dans son élan, elle jaillit d’un hédonisme, qui n’est pas vain, mais prend la forme d’un combat social.
Peut-être parce que Herzi, contrairement à Douard, a cherché à retranscrire, plus que des personnages, des vrais lieux, des topographies urbaines qui évoquent tous ces milieux et tous ces corps, comme la Mutinerie les évoque. Des espaces filmiques chargés de sens, qui se construisent entre l’émancipation féminine et les déterminismes sociaux. Mais cette extase que Herzi parvient à capter dans des moments singuliers menace à tout moment de devenir élégie ralentie, de tomber dans un double-discours courant qui est celui des fausses retrouvailles et de la publicité sportive, d’une injonction au progrès scénaristique sans rage ni tension.
La Quinzaine
Quittant le cinéma français, je découvre en début d’après-midi la sélection de la Quinzaine des cinéastes. Au programme, Christian Petzold. Le réalisateur, en marges du cinéma allemand, retourne à Cannes avec un film qu’on a beaucoup dit « mineur », Miroirs No. 3. il s’agit de ma vraie découverte (après quelques tentatives) d’une œuvre hermétique et discrète. Qu’est-ce qu’on en retient, de ce film au synopsis glané à Mulholland Drive ? Peut-être le chaînon manquant entre Lynch et Rivette, enfin pas de filiation en ligne droite mais une évolution du drame bourgeois qui, derrière ses teintes d’américanisme et de mystère renfermé, expose ses rouages dans les grincements les plus vifs. Voilà ce qui machine, encore, cette emprise du récit et de la famille qui couine dans le silence : les scènes de dîners, évoquant étrangement Eraserhead, se manifestent toujours dans le règlement de la machine à laver qui sonne le dysfonctionnement social. On navigue dans cette étrangeté mécanique, jusqu’à la conclusion qui impose en contraste un sursaut fascinant.
GTL
Autre plaisir cannois de la découverte, le Grand Théâtre Lumière, salle principale du palais du festival, s’impose à moi et marque une expérience commune a priori plus excitante que le Studio 13. En séance de minuit, la queue éveillée s’engouffre avec un enthousiasme certainement différent. J’y vois Exit 8, découverte de Genki Kawamura qui adopte le récent jeu-vidéo du même nom. Que le film surprenne dans son ludisme (première cannoise ?) est une chose, cela n’implique pas forcément que Kawamura reste prisonnier de son objet d’origine. Il l’est, quand il demeure attaché à sa narration la plus bavardeuse et affichée, comme une cinématique pourrait l’être, dans son trop-plein de « vouloir-faire cinéma » . En revanche, il en est empêché irrémédiablement dès lors que sa construction charrie en elle une contemporanéité horrifique proche de celle du Kurosawa le plus récent, c’est-à-dire concept, pas forcément “high” (pour reprendre le teme qu’on accole à toute une horreur qui se voudrait plus intelligente qu’elle ne l’est réellement), portant ses vertus en lui comme terrain d’expérimentation et reflettant la modernité urbaine. Je n’ai pas quitté le Grand Théâtre. Avant cela, coup de chance, je parviens, bout de carton et légère détermination en mes mains, à me faufiler sur le tapis rouge du nouveau long-métrage de Wes Anderson, The Phoenician Scheme. Je ne resterai pas durant la standing ovation habituelle. Pour assister à la séance, j’ai raté le film de Sepideh Farsi. Le festival a son rythme, il n’en finit pas de rappeler à quel point ce qui le soutient est industrie. La politique de Frémeaux, qui a pratiquement ramené le blockbuster à Cannes, dès lors qu’elle soutient la diversité de programmation, ne peut se glisser que vers la pure contradiction et la régulation du marché. Une minute, on pleure une journaliste gazaouie. Celle d’après, dévalent les marches du tapis rouge des figures qui n’ont pas peur de soutenir durant un génocide un film croyant qu’une colonisation peut se faire en pastels. De quel couleur est le sang palestinien ? Comment le perçoit le festival ? Peut-être faudra-il l’écrire plus. Le lendemain, je retourne immédiatement au Moyen-Orient et en Palestine avec Once Upon a Time in Gaza des frères Nasser.
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Lili Marleen – Rainer Werner Fassbinder (1981)
Adaptant librement la vie de la chanteuse Lale Andersen, Rainer Werner Fassbinder perpétue un travail initié avec Le mariage de Maria Braun sur la place des femmes dans l’Histoire allemande. Bien que proche dans sa construction des trois films de sa célèbre trilogie BRD ou dite allemande (Le Mariage de Maria Braun (1979), Lola, une…
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L’ultime braquage (Frederik Louis Hviid) : Promesse et précipitation
Parent d’une adorable jeune fille, boxeur le jour, et braqueur la nuit, Kasper (Gustav Dyekjaer Giese) vit dans le besoin de toujours devoir être le meilleur dans ce qu’il touche : meilleur boxeur du Danemark, il veut récolter plus de gains que le braquage fait par d’autres quelques jours auparavant… L’ultime braquage n’est pas uniquement…
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Journal cannois – Jour 3 : Fiction ?
Troisième journée, programme plutôt chargé ou optimisme irréaliste, enfin je renoue véritablement avec le sens de la fiction et tire en passant le meilleur film cannois de cette édition. Si je retourne en Palestine, en Salle Debussy pour la première de Once Upon a Time in Gaza des frères Nasser, c’est précisément parce qu’on y…
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Journal cannois – Jour 2 : C’est du rouge
Le lendemain, réveil complexe, bus et circonvolutions : j’arrive tout juste à l’heure, enfin presque en retard. Genre et classe La Petite Dernière est une des surprises de la sélection, un troisième film qui affirme la mise en scène de Herzi. La réalisatrice et actrice, révélée par Abdellatif Kechiche dans La Graine et le Mulet,…
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Journal cannois – Jour 1 : En parallèle
Cette année, Littér’art parvient à Cannes, un peu à part, certainement en dérobée, mais avec une bonne fenêtre sur une édition riche, faste ? On arrive un peu tard : première soirée à l’ACID le samedi 16 juin, premier échec, je rate l’entrée de peu sans avoir pu récupérer mon carton d’invitation. Le festival commencera…
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La Forteresse noire – Michael Mann (1983)
L’histoire du cinéma est truffée, pour ne pas dire quasiment en permanence, de films à la production chaotique, notamment aux Etats-Unis. Entre La porte du paradis ou bien Apocalypse Now, La forteresse noire n’est pas le plus connu. La ressortie par Carlotta en salle du film de Michael Mann, nous permet de nous pencher sur…
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Astérix et Obélix : Le Combat des chefs – Une adaptatix aux petits oignius
Après une première adaptation de l’univers de René Goscinny et Albert Uderzo avec Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre, Alain Chabat (Accompagné de Benoît Oullion et Pierre-Alain Bloch) revient dans l’univers des irréductibles gaulois avec une adaptation cette fois-ci en animation de l’album Le Combat des chefs (1966). Annoncée il y a déjà cinq ans,…
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Espérance dualiste : (Posthume) – Ghassan Salhab
À la fois auteur de deux ouvrages, Fragments du Livre du naufrage (2012) et À contre-jour (2021), de divers textes dans des sites ou revues spécialisées, la raison de la présence de Ghassan Salhab à l’édition 2025 du Cinéma du Réel est bel et bien pour son activité cinématographique. Si nous avions récemment pu découvrir…
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Little Jaffna – Lawrence Valin
Little Jaffna, film de Lawrence Valin, raconte l’histoire de Michael, un jeune policier qui cherche à infiltrer le quartier de « Little Jaffna » à Paris pour y stopper les détournements de fond qui y sont faits au profit d’un groupe de rebelles sri lankais réclamant l’indépendance depuis les années 80. Michael, d’origine sri lankaise…
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Beck, des palmiers dans l’espace – Pauline Guedj
J’ai eu la chance de découvrir – que dis-je, de dévorer – l’ouvrage de Pauline Guedj Beck, des palmiers dans l’espace. Journaliste et anthropologue, l’autrice travaille avec plusieurs médias français et américains et propose régulièrement des articles et essais sur la littérature, le cinéma et la musique. Proposant dans ses textes une réflexion sur l’art…