Les discours affleurent pendant près d’une heure et demie, ils ne respectent pas le mot d’attente, ils font du fragment non la part de singularités révélées mais l’œuvre complète d’une fiction toute réglée. Fragments d’un parcours amoureux, présenté en première mondiale à la Mostra de Venise, est le premier long-métrage de Chloé Barreau, après Stardust Memories et La Faute A Mon Père. Des lieux de l’intime aux figures familiales, on se situe toujours au même, entre le soi et le biographique. Cette fois-ci, le titre expose clairement son ambition, décrire un parcours, c’est-à-dire une chronologie et sa continuité, il témoigne aussi encore de son socle culturel, emprunté à Barthes.

Des individus, un par un, font face à l’écran pour parler de sa réalisatrice, Chloé Barreau, suivant l’arbitraire le plus plat, celui du reportage : sa vérité n’est ni enquête ni perception mais paroles admises, alibis fourvoyés et excuses plates assénées.

Dans ses images vides, la flèche de Notre-Dame de Paris s’effondre comme la passion du moment. Prestige, idéal, profondeur : un ordre pompier, plus préoccupé de bâtisses imposantes que de l’architecture sensible de sa matière. Certes, il y a une curiosité à voir cette grandiloquence de studio à la lueur de l’amateurisme. Question d’éclairage !

Un premier intervenant – et jamais plus que cela – présente leurs années de lycéens : une tour surgit, à côté on aperçoit le dôme du Panthéon, contrairement à ce qu’on sous-entend, il ne s’agit pas d’un banal établissement du Quartier latin. Tout le film restera marqué par ce surgissement initial, celui d’un ordre de claustration sociale et esthétique qui ne laisse aucune place ni à une éventuelle sincérité ni à quelconque remise en question.Le documentaire promet des fragments, et balance le tout au fil de quelques remarques sur les vertus d’archiviste de sa réalisatrice, sans jamais oser véritablement les montrer : entiers, tiraillés, sincères ou vrais.

A un moment donné, la cinéaste Rebecca Zlotowski s’interroge sur son rôle dans le projet, mal-à-l’aise sur un plateau aussi froid que les questions qui lui sont posées. Son manque d’aspérités est sans doute ce qui marque le plus, ouvre le film à une autre catégorie télévisuelle en même temps qu’il n’en limite toute portée et quelconque valeur interne dans ses propres formes hétéroclites.


Image de couverture © Destiny films


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