Présente à l’Institut du Monde Arabe afin de rencontrer Tal Barda à l’occasion de la présentation du film documentaire Un médecin pour la paix, œuvre relatant le combat de l’honorable docteur Izzeldin Abuelaish, il fut tout naturel que ma prochaine étape serait la magnifique et poignante exposition consacrée aux trésors du patrimoine gazaoui.
Les œuvres présentées, issues de la collection Jawdat Khoudary, devaient être exposées à Genève lors de l’exposition « Gaza à la croisée des civilisations » (2007), mais n’ont malheureusement jamais pu retourner à Gaza. Entrepreneur et collectionneur palestinien, Jawdat Khoudary avait fondé le musée à Gaza City, dont il ne reste plus rien aujourd’hui. Cette exposition retrace l’histoire d’un patrimoine en péril, risquant de disparaître et de sombrer dans l’oubli face aux destructions massives engendrées par la guerre. Nous sommes alors invités à découvrir les splendeurs d’une antique oasis à la croisée des routes caravanières entre Egypte, Arabie et Inde, des multiples civilisations qui s’y sont côtoyées et qui ont vu fleurir leur culture entre mer et désert.
Les objets présentés sont magnifiques et nous permettent de voyager à travers des siècles, des millénaires, du temps où la Palestine, dont la bande de Gaza faisait partie, était une région riche, économiquement, riche culturellement. Ici un scarabée en stéatite émaillée vieux de trois mille ans, là une statuette de femme au tambourin, que l’on retrouve dans toute la région du Levant durant l’âge du Fer, puis nous avançons et découvrons avec émotion une superbe collection de lampes à huile de l’époque romaine, ornées de scènes mythologiques ou érotiques. La mosaïque de pavement de l’église Dayr al-Balah, fragmentaire mais qui n’en est pas moins superbe, met en scène des animaux, des humains et éléments inanimés cerclés de rinceaux de vigne, et offre un précieux témoignage de la culture byzantine en place à Gaza au VIème siècle. Enfin, des éléments architecturaux illustrent la culture musulmane de la région, en place dès le VIIème siècle, tel un linteau en calcaire, ornés de panneaux à décor géométrique de la période mamluk, découvert dans une maison de Gaza City en 1995.
Voici un bref état des lieux de cette exposition. Magnifique, mais trop brève ; en réalité, très peu d’objets sont donnés à voir ici. Car tout, ou presque, est détruit à Gaza, et c’est que nous explique la deuxième salle de l’exposition, où nous découvrons l’étendue des pertes à travers photographies et articles, mais aussi des chiffres. L’exposition en place depuis le mois de mars 2025 rapporte des dommages sur 76 sites culturels depuis la guerre d’octobre 2023. Quelques semaines plus tard, au 8 avril 2025, l’UNESCO a répertorié des dommages sur 102 sites : treize sites religieux dont l’église byzantine Sainte-Porphyre et la Grande mosquée al-Omari, soixante-neuf bâtiments d’intérêt historique et/ou artistique, trois dépôts de biens culturels mobiliers, neuf monuments, un musée et sept sites archéologiques. Le monastère byzantin de Saint Hilarion, témoin de l’implantation du christianisme dans la région, est inscrit sur la liste internationale des biens culturels sous protection renforcée. Enfin, une partie des collections du musée de Rafah et du musée al-Qarara ont pu être transportées et mises à l’abri, notamment grâce à l’action de l’ALIPH (Alliance internationale pour la protection du patrimoine).
Aujourd’hui, alors que le territoire croule sous les bombardements, que les cadavres s’accumulent, il est nécessaire de s’enquérir de l’histoire de Gaza. Détruire le patrimoine, c’est effacer la mémoire des hommes, et oublier leur existence. Cette exposition est d’un intérêt majeur pour que l’on n’oublie pas et que continue de résonner la voix de ce peuple aux cinq mille ans d’histoire. Une histoire inachevée.
La tristesse est un cadeau que le monde nous offre.
Nous sommes ses enfants qui ne grandiront jamais.
Notre tristesse, unique, change de visage à chaque fois,
Comme si elle avait peur de nous lasser.
Parfois, elle explose dans le toit de nos maisons,
Parfois on dirait qu’elle arrache tout l’asphalte du pays,
Ses arbres et ses cimetières.
Elle peut surgir comme un obus aveugle et stupide,
Ou s’insinuer en bloquant l’arrivée de la nourriture,
Et nos ventres tremblent, hurlant leur faim maudite.
Nous avons tant pleuré pour qu’elle nous donne des cadeaux
De nouveaux cadeaux nous recevons des tentes.
Monde,
Nous sommes le résumé de ta tristesse,
Profonde et sauvage.
Nous sommes ton lac salé.
Hind Jouda (née en 1983), poétesse née dans le camp de réfugiés d’al-Bureij à Gaza.
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