Comment filmer la fin d’un monde, d’existences modestes et simples ? Premier long-métrage de Shokir Kholikov, Dimanches  suit la vie d’un vieux couple ouzbek habitant un corps de ferme. Il tirent des chèvres qu’ils élèvent laine et lait, source de leur subsistance.

Le film, construit comme une chronique au fil des saisons, donne à voir insidieusement le bouleversement de ce quotidien bien réglé. Surgissent au fil des jours une succession de petits événements qui sont autant de révolutions pour ces deux êtres dont l’existence, excepté le tube cathodique et un téléphone cellulaire , n’aurait pas été bien différente cent ans en arrière. Le remplacement de la vieille télévision par un des fils est justement le premier coup de boutoir d’une modernité à laquelle ils sont étrangers. D’autres suivront : paiement par carte bancaire en lieu et place de l’espèce, remplacement du téléphone portable par un smartphone capable d’appel en visioconférence. Fait important, cette colonisation numérique est orchestrée par les deux fils, qui convoitent par ailleurs la maison, élément indispensable au mariage d’un des deux pour y installer son nouveau foyer. C’est dans cette série de micro-événements que le film trouve sa puissance, celle d’une mise à mort à bas bruit d’un couple qui, ne se connaissant que trop bien juge dérisoire le flux de parole auquel il préfère des gestes précis. 

C’est dans l’importance du geste que Dimanches dévoile un autre mérite, celui d’une forme de comédie qui ne révèle pas son nom, cet état de fait étant particulièrement saillant dans les séquences de changement de chaîne de la télévision où le patriarche indique de la main s’il faut zapper ou maintenir le programme. Un contraste affleure alors, lié à la conscience de vivre les derniers instants d’un certain être au monde voué à disparaître, à la fois pour le meilleur – ce couple témoigne en creux de rapports de genre inégalitaires – mais aussi pour le pire, cette manière de vivre, lentement et simplement, sera substituée par la marche forcée vers un avenir dématérialisé où l’instantanéité est la mesure de toute chose. 

Par sa mise en scène, Kholikov nous convie à un certain rapport à la lenteur, à la faveur d’un découpage simple et d’une mise en dialogue parcimonieuse, comme lorsque le couple s’affaire, au fil des jours, à la besogne de leur modeste exploitation. Cette épure s’inscrit dans la tendance du slow cinema qui privilégie la situation à l’intrigue, le geste à la parole.

Ce premier film, d’une grande maîtrise, porte la promesse d’un cinéma à contre-courant qui oppose à l’intensification de la succession des images une décélération salutaire, à l’insignifiance une forme d’être au monde, une expérience sensible palpable qui engage le spectateur.


Image de couverture © Carlotta Films


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