À la fois auteur de deux ouvrages, Fragments du Livre du naufrage (2012) et À contre-jour (2021), de divers textes dans des sites ou revues spécialisées, la raison de la présence de Ghassan Salhab à l’édition 2025 du Cinéma du Réel est bel et bien pour son activité cinématographique. Si nous avions récemment pu découvrir son oeuvre entière dans un coffret DVD, ou même son film Beyrouth fantôme en salle, dans sa copie restaurée , certains chanceux ont pu (re)découvrir son sublime essai sorti en 2007, (Posthume), ce dimanche 23 mars .
Le cinéma de Ghassan Salhab se situe à la frontière de la fiction et du réel, son précédent long-métrage – avant (Posthume) –, Le dernier homme (2006) est sûrement l’exemple le plus propice à cette réflexion puisqu’il met en scène, dans la ville de Beyrouth, une série de meurtres dont la cause est commune à tous : une morsure dans le cou. Le médecin Khalil finit par se suspecter lui-même et l’on assiste à un renversement science-fictionnel de tout le cinéma salhabien, alors que jusque là le cinéaste faisait du conflit libanais (Beyrouth Fantôme, 1998) et la destruction de Beyrouth (Terra incognita, 2002) ses deux principaux axes de pensée. En 2007, le cinéaste revient à cela puisque le cadre de (Posthume) est bien politique, réalisé peu de temps après le conflit de l’été 2006.
Le film s’ouvre d’abord par les grésillements de l’écran et celui-ci brouillé ; à travers ce brouillage survient une ombre, celle d’un individu ; ce n’est qu’après un brusque écran noir que l’ombre s’individualise laissant place à un visage qui nous laisse avec un surprenant regard-caméra. (Posthume) n’a pas démarré que déjà le spectateur est pris dans la boucle, Ghassan Salhab va s’adresser à nous. Le silence est toujours présent à mesure que l’image change pour passer sur un plan fixe face à un bâtiment, la ville est en vie, les véhicules roulent et pourtant, le précédent regard-caméra nous hante. Trois plans fixes s’enchaînent, tous deux prenant une tour pour l’élément central du cadre. Le bâtiment est intact est pourtant, un panneau avec écrit « ruine avant même les ruines » nous annonce la tournure que prendra le film. En un simple cut, le cinéaste nous prend pour témoins de l’horreur des décombres. Première véritable dualité du film.
(Posthume) est représentatif du cinéma dualiste de Ghassan Salhab, à commencer par cette accumulation d’images qui se distinguent toutes par leur caractère : l’une est vivante l’autre est spectrale et n’admet aucun corps vivant dans son cadre, seulement des décombres et la pelle d’une chargeuse qui tente inlassablement de déblayer les restes. Pourtant une certaine poésie naît de ce désastre, de ce silence pesant, la caméra se porte vers l’horizon. Le cadre filme la mer et le ciel, la ligne horizontale délimitant les deux espaces qui se rejettent fondamentalement. L’horizon les distingue mais le cadre reste unanimement bleuâtre, la frontière entre les deux corps est floue, mais la caméra l’observe, comme dans un élan symbolique. L’horizon nécessite un ou des points de rencontre, comme deux forces qui s’attirent, tels deux espaces vectoriellement opposés se rejoignant, une réaction a lieu entre les deux corps. Cette fois, chez Ghassan Salhab, le ciel rejoint la mer, une force naît de cette rencontre : celle de la poésie. À l’embouchure de ces deux matières distinctes réside la ligne d’horizon, comme une nouvelle issue possible : l’horizon ici n’est ni eau, ni ciel, il est à la fois un échappatoire, un espoir, un avenir, un repère.
Ce titre, (Posthume), est bien mystérieux faisant référence à une phase post-mortem ; le film semblerait être à la fois un hommage, à celui d’une ville, d’une nation, après les événements tragiques qui le précèdent. De plus, le titre du film est accompagné par une inscription arabe, « ما بعدا », rapportant à l’après , comme pour montrer une volonté de toujours penser et espérer un avenir meilleur.
Ce film de Ghassan Salhab semble à bien des égards vouloir effacer toute image mortuaire par son montage, en particulier par l’utilisation de la surimpression . Les images de soldats sont camouflées par une autre à l’image de cette séquence avec l’horizon dont l’opacité est diminuée pour y superposer des images d’un reportage où l’on aperçoit des militaires, des chars, des armes, l’horreur. L’image fixe de l’horizon ou celle, plus tard, du pont détruit et cet homme sur son scooter, est ravivée par la superposition qui s’ensuit. Ghassan Salhab refuse le sceptre, le silence mortuaire ; l’image stagne prend vie grâce à la surimpression.
(Posthume) est un film de Ghassan Salhab sorti en 2007. Il a été récemment projeté lors du festival Cinéma du réel puis est au catalogue Tenk auquel vous pouvez accéder en cliquant ICI
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