Parmi les enfants prodiges décrétés par la critique depuis une dizaine d’années, Zach Cregger s’est démarqué par des racines plus brutales du cinéma horrifique américain. Dès son Barbare, malencontreusement jeté en 2022 sur Disney Plus mais marquant la critique friande de sa proposition retournant à un cinéma bis des vidéos clubs des « eighties ». Ce long-métrage surgit par surprise transformait Detroit, le territoire politique par excellence en une violente et brutale infestation d’horreur, devenu un territoire clos convoquant déjà Stephen King, les traumatismes et les vérités cachés d’un pays enraciné dans la violence. Évanouis, ce nouveau film produit avec une ambition et des moyens plus conséquents, débute dans la petite banlieue de Maybrook en Pennsylvanie (King pointe encore son nez), 17 enfants d’une même classe disparaissent simultanément à 2h17 sans laisser de trace, s’ensuit une enquête pour découvrir l’origine de ce phénomène étrange.

Cette disparition surgit au début du film, le mal à l’origine de beaucoup d’autres au sein de la banlieue américaine (les maisons alignées, les voisins se connaissant tous, les enfants allant dans la même école,…). Les enfants s’éveillent au milieu de la nuit et courent dans la rue vers une direction inconnue. Ce début en fanfare semblant sortir d’un film de John Carpenter, notamment l’immense Halloween (1978), fait surgir un mal enraciné (les enfants disparus ou Michael Myers tuant sa sœur). Maybrook et Haddonfield deviennent des lieux clos où l’époque contemporaine des deux films se dévoile, la naissance des années Ronald Reagan pour Carpenter et Donald Trump pour Cregger. Cette citation n’est pas anodine, au-delà du film, dans son époque de conception qui est notre actualité politique, la reprise du “Make America Great Again” par le candidat républicain à marqué les consciences depuis 2017. Si on retourne vers Évanouis et son influence originelle, on aperçoit deux banlieues américaines blanches, bien rangées, alignées, à l’apparence coloniale qui n’auraient pas quitté la caméra du Big John créant le mythe de Haddonfield en 1978. Une société qui destine sa future génération au mariage, des enfants blancs, le travail, connaître chaque habitant et sa vie. 

Mais lorsque l’horreur de départ surgit, une chasse aux sorcières s’organise envers la maîtresse Justine Grandy (campée par la merveilleuse et bouleversante tristesse  de Julia Garner). Cette fameuse chasse entamée par la communauté renfermée, celle qui est bien rangée selon les mœurs américain. Justine est portée au gré de ses désirs, de son mal-être également, des préjugés sur les erreurs passées. Elle incarne ce que l’Amérique de Reagan et de Trump déteste, l’indépendance, hors d’un système qui s’est enraciné, qui isole, où chacun doit rester à sa place, régler ses propres problèmes, avoir des sentiments pour les autres étant vu comme de la prédation, que ça soit un élève raccompagné chez ses parents, ou un adultère et amour à sens unique. Un procès public (une réunion de crise) sortant du Gone Girl (2014) de David Fincher met en scène cette fracture, malgré que le personnage soit mêlé à la foule. Elle va au barreau, pointée du doigt, jugée du regard, Justine se différencie par ses cheveux blonds (femme du cinéma de slasher) et en bataille. L’horreur n’est pas directement l’élément surnaturel, mais les pensées, les pulsions primaires de l’être humain, dont l’élément étrange n’est que la résultante, la réponse à un pays enraciné dans la violence.

Le surnaturel de la situation, l’horreur de la banlieue américaine resurgit lors d’une surveillance de maison qui est la prolongation du thriller fincherien (le personnage enquête de lui-même), puis un champ contre champ dans la maison du Signes (2002) de M. Night Shyamalan, crée la bascule des influences. Le personnage arrive depuis sa voiture (suivant le seul survivant de la vague de disparition), espionnant par une fenêtre sur le côté de la maison, bouchée par des journaux, puis des parents assis sur un canapé fixant devant eux. L’American way of life est le mal originel, celui qui est contrôlable par une sorcellerie primaire. L’introduction qui prenait racine sur Carpenter, revient et force les personnages à se dévoiler, en basculant vers leur point de vue tel le Magnolia de Paul Thomas Anderson, levant le voile sur les violences cachées de cette banlieue. Surveillance obsessionnelle sur des écrans (Signes), peur de l’inconnu, des maladies (L’Invasion des profanateurs de sépultures, 1956), personnage racisé et appartenant à une communauté oppressé devient un zombie politique (Romero), … La banlieue de Pennsylvanie devient un terrain pour les divers visages d’horreur, qu’a produit l’Amérique. Celle d’un pays programmant une vie rangée, faite de méfiance envers le différent, une violence enracinée qui se déchaîne quand le mal surgit de la nuit, tapi dans l’ombre, le 2 h 17 (présent sur un fusil d’assaut) sonnant également comme un 2017 funeste pour la politique américaine. L’arrivée d’un Donald Trump portant le mal reaganien, déjà présent dans Barbarian. La disparition des enfants devenant des armes dans un climax romerien (Weapons, titre original), est le résultat d’une banlieue en proie à une bavure policière à la Don Siegel, des zombies attaquant ceux qui résiste au communautaire étasunien, une paranoïa immorale et incontrôlable qui se répercute sur un enfant devenant violent sur un autre … Les États-Unis sont le pays des horreurs.  


Image de couverture © Warner Bros. Pictures


  • Évanouis (Zach Cregger) : Le pays des horreurs 

    Évanouis (Zach Cregger) : Le pays des horreurs 

    Parmi les enfants prodiges décrétés par la critique depuis une dizaine d’années, Zach Cregger s’est démarqué par des racines plus brutales du cinéma horrifique américain. Dès son Barbare, malencontreusement jeté en 2022 sur Disney Plus mais marquant la critique friande de sa proposition retournant à un cinéma bis des vidéos clubs des « eighties ». Ce long-métrage…