Le cinéaste John Huston (Chinatown, The African Queen…) fait l’objet d’un nouveau livre, ni le premier et sûrement pas le dernier ceci dit. Cette fois, Julius M. Stein se met au défi d’écrire sur le cinéaste tant adulé que renié : preuve en est la rédaction des Cahiers du cinéma avec Gilles Jacob qui écrit que « les films de John Huston se sont plus ou moins terminés, jusqu’à présent, par un échec » ou encore Truffaut qui se satisfait plus de Huston-scénariste plutôt que de Huston-réalisateur. Cette fois, à l’ouvrage analytique et biographique, l’auteur Julius M. Stein y mêle un récit tout à fait personnel et passionnant.
Dialogue admirateur-admiré
Pour un défi, c’en est bien un, l’auteur l’écrit lui-même sur un ton sarcastique qui le suivra durant tout l’ouvrage : les éditions Marest lui donnent trois mois pour rédiger son essai. Pari tenu. Julius M. Stein accepte, parvient à écrire l’ouvrage, et de quelle manière ! Il parvient à prendre à contre-pied la biographie trop formelle et routinière en faisant de John Huston un véritable personnage de son livre. Le cinéaste est mis en scène par M. Stein à l’occasion de dialogues fictifs révélant une profonde admiration de notre principal interlocuteur. De cette admiration, l’essayiste tire aussi un travail plus analytique, lui-même affirmant, pour justifier le drôle titre du livre : « tu es ma proie et ta tête mon trophée », lors d’un des nombreux dialogues fictifs – et amusants pour la plupart.
Au fur et à mesure de la lecture de l’essai, nous dessinons peu à peu le portrait du cinéaste à travers les mots : c’est comme s’il avait été tout un ensemble de poussières ou d’ombres dans un Hollywood clairvoyant. Discret mais pourtant si important. De sa collaboration avec Orson Welles, Howard Hawks, Billy Wilder – un triple portrait est d’ailleurs dans le livre, avec Wilder, Huston et Anatole Litvak –, sa rencontre avec Ernest Hemingway (et bien d’autres) : John Huston côtoie les plus grands. Julius M. Stein parvient à témoigner de cette situation à travers son écrit, n’hésitant pas, parfois, à délaisser quelques instants son sujet pour écrire sur les grands hommes qui l’accompagnent, sans jamais oublier, comme un point d’éternel retour, sa proie. L’auteur parcourt la vie du cinéaste comme en pleine « visite des souvenirs » si l’on veut reprendre Rimbaud sans questionner ni même remettre en question son parcours. Simplement, il assiste et parfois devient acteur en interpellant le fantôme d’Huston, l’appelant par son prénom, le tutoyant. On est presque gênés – mais plus impressionnés – de briser l’intimité de cette discussion qui n’a rien de banal : c’est une véritable conversation entre un admirateur et un admiré défunt.
John Huston renaît
Décidément, les éditions Marest nous habituent à de superbes sorties : après l’essai consacré à Steven Soderbergh et le roman de Séverine Danflous qui semblent avoir fait unanimité dans la presse, voilà que Julius M. Stein, avec ce livre écrit en seulement trois mois, offre une riche lecture sur le cinéaste qui fera l’objet d’une ressortie de trois films dans l’été 1. À la richesse de l’écrit s’ajoute aussi un récit personnel, comme une longue lettre de remerciement de l’auteur à l’encontre d’un cinéaste qu’il rencontre par l’intermédiaire d’un projecteur 16mm au milieu de tout un tas de films cités dans le livre tels que Nahla (Farouk Beloufa, 1979) – que l’on ne peut que conseiller –, Vérités et mensonges (Orson Welles, 1973). En mêlant, à la biographie du cinéaste, un témoignage si singulier, Julius M. Stein parvient à redonner, le temps d’un instant, vie à John Huston, au point de ne plus voir que son sourire et son visage à chacune des pages tournées et retournées.
Image de couverture © Marest
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- Le 30 juillet 2025, Splendor Films ressort trois films de John Huston : The African Queen (1951), Moulin Rouge (1952), Beat the Devil (1953). ↩︎