Vivre dans la transcendance

Un air entraînant de raï enclenche et clôt ce sublime film dans lequel le réalisateur, Saïd Hamich Bernabi, livre le récit formidable de Nour, émigrant à Marseille. C’est avec un sourire timide que ce dernier observe attentivement les côtes de Marseille, sa nouvelle ville, sa nouvelle vie. Son quotidien sera peuplé de petits trafics, de mauvaises relations avec la police. Et paradoxalement, ce sera ce flic, Serge, qui délivrera Nour de ses multiples bourbiers illégaux. Serge est un flic sans frontière, qui ne se livre pas à une vie paisible et sans péripétie : il est libertin, sa femme aussi, et tous deux vivent « sans interdiction » – pour citer la mère de son enfant, Noémie – avec pour maîtres mots liberté et  folie. Nour sera hébergé chez ce couple et, avec chacun d’eux, sera acteur-spectateur de vives tensions romantiques, plus particulièrement avec Noémie avec qui il se mariera suite à la mort du mari.

La mer au loin livre une véritable fresque d’un homme en quête de repère, de sens et c’est dans sa relation avec Noémie qu’il trouve cet ensemble. Sa vie n’est plus au service de la fuite, de la peur – celle de partir de France – mais sa relation amoureuse est tout ce qu’il a : lui-même l’affirme, après avoir affirmé qu’il ne connaît pas l’amour. Et à travers ce récit idyllique découle pourtant un récit totalement submergeant et bien plus complexe, bien plus socio-politique : celui du racisme. Une dialectique, un contraste complexe mais parfaitement équilibré par Benlarbi puisque son personnage va petit à petit se défaire de tout stéréotype et passer outre, à l’image de la scène au restaurant après une querelle familiale avec l’enfant de Noémie. Tout s’oppose et pourtant finit par se rassembler dans La mer au loin : le flic qui aide et héberge l’émigrant, les couleurs, qu’elles soient sombres ou pétillantes, s’accordent entre elles dans quelconque scène. Nombreuses sont les scènes accompagnées de fleurs, qu’elles soient réelles (mariage) ou sous forme de motif (sur le mur du logement de Nour) : une tendresse apportée au cadre. En somme, si l’on devait résumer ce film profondément humain et altruiste, il suffirait de remarquer sa tendresse et sa capacité à transcender la noirceur d’une société. 


  • Exploration du cinéaste aventurier : Apportez-moi la tête de John Huston (Julius M. Stein)

    Le cinéaste John Huston (Chinatown, The African Queen…) fait l’objet d’un nouveau livre, ni le premier et sûrement pas le dernier ceci dit. Cette fois, Julius M. Stein se met au défi d’écrire sur le cinéaste tant adulé que renié : preuve en est la rédaction des Cahiers du cinéma avec Gilles Jacob qui écrit…

  • En retrait de la mémoire : L’Éternité et Un jour (Théo Angelopoulos)

    Il y a dans L’Éternité et un jour une clarté de fin d’après-midi. Les ombres s’allongent et s’étalent avec cette mélancolie propre aux fins de cycle. Bruno Ganz avance dans un monde qui se retire lentement, non par rupture soudaine, mais par un effacement progressif. Les rues, les visages, les souvenirs glissent, tenus à distance,…

  • La libre-circulation du mal : Chime et Cloud (Kiyoshi Kurosawa)

    Hormi la signature de Kiyoshi Kurosawa et leurs dates de sortie française à une semaine d’intervalle, quels sont les points communs entre Chime (sorti le 28 mai) et Cloud (sorti le 4 juin) ? À première vue, ce sont plutôt leurs différences qui sont aveuglantes.  Le premier est un moyen-métrage de 45 minutes où un…

  • Crasse – Luna Carmoon

    Maria, 8 ans, vit à Londres et entretient une relation fusionnelle avec sa mère, allant jusqu’à se créer un monde fantaisiste, foutraque et coloré dans leur petite maison de banlieue. Lorsque sa mère se blesse gravement en jouant, Maria est placée dans une famille d’accueil dans laquelle elle restera jusqu’à sa majorité Après une première…

  • Un retour aux sources un peu trop sage : Partir un jour (Amélie Bonnin, 2025)

    Avec Partir un jour, Amélie Bonnin signe son premier long métrage, adapté de son court métrage du même nom sorti en 2021, couronné du César du meilleur court un an plus tard. Elle y prolonge ses thèmes de prédilection : le départ, l’attente, et ce qui retient encore. Si le film a sa place dans…

  • Jean Cocteau ou le testament d’un poète

    « J’ai assez d’écumes dans les veines pour comprendre le langage des vagues ». Extraite du Testament d’Orphée, cette citation de Jean Cocteau résonne en moi tant elle illustre à elle-seule la poésie de son propos et la richesse symbolique de son univers.  Entre 1932 et 1960, Jean Cocteau réalise sa « trilogie orphique » avec Le sang du poète…

  • Témoignage d’amours épisodiques : Fragments d’un parcours amoureux (Chloé Barreau)

    L’amour fait partie de l’intériorité humaine, qu’il soit fraternel, parental, épisodique, immature, mature, chaque être aime ou a aimé d’une certaine manière. Certains amours s’enterrent dans l’ombre, les années passant, et d’autres résistent à la force du temps. C’est pour lutter contre ces instants fugitifs que la cinéaste Chloé Barreau, depuis ses 16 ans, se…

  • Quelques cheminements : Fragments d’un parcours amoureux (Chloé barreau)

    Les discours affleurent pendant près d’une heure et demie, ils ne respectent pas le mot d’attente, ils font du fragment non la part de singularités révélées mais l’œuvre complète d’une fiction toute réglée. Fragments d’un parcours amoureux, présenté en première mondiale à la Mostra de Venise, est le premier long-métrage de Chloé Barreau, après Stardust…

  • Lili Marleen – Rainer Werner Fassbinder (1981)

    Adaptant librement la vie de la chanteuse Lale Andersen, Rainer Werner Fassbinder perpétue un travail initié avec Le mariage de Maria Braun sur la place des femmes dans l’Histoire allemande. Bien que proche dans sa construction des trois films de sa célèbre trilogie BRD ou dite allemande (Le Mariage de Maria Braun (1979), Lola, une…

  • L’ultime braquage (Frederik Louis Hviid) : Promesse et précipitation

    Parent d’une adorable jeune fille, boxeur le jour, et braqueur la nuit, Kasper (Gustav Dyekjaer Giese) vit dans le besoin de toujours devoir être le meilleur dans ce qu’il touche : meilleur boxeur du Danemark, il veut récolter plus de gains que le braquage fait par d’autres quelques jours auparavant… L’ultime braquage n’est pas uniquement…