Little Jaffna, film de Lawrence Valin, raconte l’histoire de Michael, un jeune policier qui cherche à infiltrer le quartier de « Little Jaffna » à Paris pour y stopper les détournements de fond qui y sont faits au profit d’un groupe de rebelles sri lankais réclamant l’indépendance depuis les années 80. Michael, d’origine sri lankaise également, se retrouve face à de nombreux dilemmes moraux en s’infiltrant dans ce milieu.

Premier long métrage de Lawrence Valin, Little Jaffna est un premier film d’une rare qualité. En effet, mixant diverses cultures, et oscillant avec virtuosité entre le thriller policier français classique et des scènes très inspirées du cinéma tamoul, Lawrence Valin réussit un tour de force, d’aussi bien nous intéresser au conflit sri lankais qui a marqué le pays de 1983 à 2009, qu’à cette migration tamoule si rarement placée sur le devant de la scène.

Jamais dans la complaisance envers ce groupe terroriste cherchant à défendre des rebelles séparatistes (Michael étant policier et cherchant à les arrêter), ni dans la critique totale de leur mouvement, le film trouve un juste milieu parfait grâce à des personnages particulièrement bien écrits. En  effet, aucun personnage n’est manichéen -le film ne l’est jamais non plus- et n’est jugé par le metteur en scène, et quand bien même le chef de cette organisation pourrait parfois tendre à être caricatural, il en vient toujours une scène, souvent dans l’intime, nous permettant d’entrevoir pour chacun une subtilité bienvenue. 

Quant au personnage principal, Michael, joué par Lawrence Valin, il incarne toute la subtilité que le film déploie. Partagé entre ses racines sri lankaises qui débordent lors de l’infiltration auprès de ce groupe à Paris, et ses convictions propres, par son éducation en France, de réduire ce réseau de raquette et de banditisme au profit d’un groupe défini internationalement comme terroriste (Le TELT), le film propose une descente réaliste et d’une rare justesse dans un monde trop peu connu  et qui émeut profondément, nous questionnant sur nos propres origines et nos propres convictions humanistes. Dans ce sens, jamais Michael ne dérive de ses convictions propres qu’il juge juste. Il découvre et s’attache lors de cette infiltration à une deuxième famille bien plus humaine et proche de lui que ce qu’il imaginait, et qui, malgré l’éloignement de leurs valeurs drastiquement opposées, vont lui apporter davantage que sa mission qu’il ne va pour autant jamais éviter d’accomplir. 


Dans une mise en scène maîtrisée de bout en bout, le film crée un suspense réfléchi, qui n’étouffe pas son spectateur mais le tient en haleine pendant la quasi-totalité du film. On trouve de multiples références au cinéma indien et tamoul grâce à une mise en scène pleine d’exagérations formelles : citons par exemple la scène où, poursuivi par un autre groupe de sri lankais, Michael chute contre un homme livrant des feuilles et se retrouve au sol, les fleurs volant aux quatre vents et au ralenti, le tout transporté par une musique très présente et typique du cinéma tamoul. Ces passages sont amenés avec force et justesse et ne rendent jamais l’ensemble trop référencé ou lourd, ils apportent au contraire un plaisir certain au public et de la part de Lawrence Vallin. Il est donc dommage de voir disparaître, petit à petit, ces références pour retomber dans un thriller policier plus classique par la suite, ce qui peut être un léger défaut dans ce film.

Little Jaffna est une œuvre réussie, mais moins jouissive pour un spectateur habitué, voire fasciné par le cinéma d’Asie du Sud-Est. Il reste un excellent premier film, efficace, profond dans ce qu’il propose et un plaisir non caché pour le spectateur. Michael va apprendre à vivre avec ces confrères tamouls, et Lawrence Valin nous permet de vivre pleinement avec eux…


Image de couverture © Guy Ferrandis


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