François Perrin, photographe et metteur en scène coincé dans des boulots alimentaires, est prêt à tout pour produire son premier film, Le Miroir de l’âme. Même à aller voir Bob Morlock, producteur de films pornographiques, et de faire signer un contrat à son scénariste qui permet au studio de retoucher l’histoire. Perrin reçoit alors le scénario remanié de son film qui porte comme titre, La Vaginale. Et c’est le début des emmerdes.
On n’arrêtait plus Francis Véber en 1976. Deux films, avec les deux mêmes noms sur l’affiche, sortent en salle : Le Jouet et On aura tout vu !, écrits par Francis Véber et interprétés par Pierre Richard.
On n’arrêtait plus François Perrin en 1976. Jonglant entre une carrière de journaliste et de metteur en scène, le bonhomme se retrouve toujours dans des situations impossibles. Personnage récurrent de Francis Véber, François Perrin est un homme du monde, un parmi tant d’autres. Enchaînant petit boulot après petit boulot, Perrin n’essaye au final que de s’en sortir, comme tout le monde. Et pourtant, sa maladresse et sa légendaire malchance l’entrainent systématiquement dans des aventures rocambolesques. Pseudo agent secret dans Le Grand Blond avec une chaussure noire et Le retour du Grand Blond, jouet taille humaine dans Le Jouet, souffre douleur malchanceux dans La Chèvre et donc metteur en scène inconnu dans On aura tout vu !. Et chaque fois, il se sort de ces troubles sans dommage.
Ici, Perrin est désespéré. Il est prêt à tout. Même au porno. Le sujet est sulfureux. Et pourtant, toujours abordé avec humour et une certaine sensibilité. Évitant constamment de tomber dans la parodie, Véber et Lautner dépeignent un monde où le sexe règne, certes, mais aussi peuplé d’hommes et de femmes ordinaires. Ce sont juste des employés faisant leur travail, qui ont une vie et des motivations propres. On reconnait bien là le soin apporté par Véber à ses personnages secondaires, à l’image de la secrétaire de Bob Morlock, d’abord dépeinte comme une femme nymphomane sur les bords. Après quelques péripéties chamarrées, elle se rend soudainement compte de la débauche dans laquelle elle est tombée et accuse Morlock ainsi que l’industrie pornographique de l’avoir transformée en une parodie d’elle-même.
Le seul personnage quelque peu caricatural justement est Bob Morlock. Superbement incarné par Jean-Pierre Marielle, qui joue de sa grosse voix suave, l’homme se fait manipulateur, cynique, mais aussi excentrique, meneur et profondément investi dans son travail. Contrepoint parfait au personnage de Perrin, timide et dépassé par les évènements, Morlock prend vite le dessus et contrôle Perrin à sa guise. Morlock est avant tout un homme d’affaires, désireux de retirer le plus d’argent de chaque situation. Ni méchant, ni gentil, c’est un homme qui suit l’appât du gain.
Ce rapport entre Perrin et Morlock n’est qu’un exemple parmi tant d’autres du travail sur les reflets dans le film. Lautner, par une mise en scène assez intelligente, amène le rire par la confrontation de deux mondes symétriquement opposés : le porno et le monde ordinaire. C’est particulièrement visible dans une scène où deux plans s’enchaînent et s’alternent. Le premier montre Mercier (Henri Guybet), le scénariste du film, en train d’expliquer à son chef d’entreprise et sa famille l’histoire de son film, Le Miroir de l’âme. Le deuxième expose Ploumenech, joué par Gérard Jugnot, qui explique la nouvelle version du script du Miroir de l’âme, renommé La Vaginale, à Perrin. Par cette concomitance de scènes, les deux scénaristes finissent la phrase de l’autre mais d’une toute autre manière. Les deux parlent du même film, et pourtant rien ne colle. D’un côté un mélo romantique et de l’autre un porno sulfureux. Ce montage ingénieux qui oppose les deux mondes expose parfaitement l’absurde de la situation dans laquelle se retrouve embarqué François Perrin.
Un rapport conflictuel au porno qu’on retrouve dans la relation qu’a Perrin avec sa femme Christine (Miou-Miou). Alors que Perrin est prêt à se parjurer en faisant du porno, Christine ne l’entend pas de la même oreille. Bien consciente de la situation dans laquelle s’emmêle son compagnon, elle va tout faire pour l’en sortir. Cela résulte en une confrontation constante qui reprend le conflit du monde traditionnel, ici représenté par le couple, au monde du film érotique. Lautner en tire alors plusieurs scènes entre émotion et rigolade, où Perrin pétrifié, voit Christine plonger de plus en plus dans l’industrie érotique.
Le film fait alors un grand écart assez paradoxal. Dans une scène juste folle, Morlock fait passer Christine dans une audition. Elle doit déclamer un texte d’abord habillé, puis totalement nue. Perrin tente tant bien que mal d’annuler l’audition mais rien n’y fait. Christine se retrouve alors nue face à un Perrin choqué et un Morlock ravi. Lautner, en se rapprochant le plus possible de ses acteurs, en fait une scène très émouvante. Pierre Richard parait interloqué, face à cette vision d’horreur, où sa femme s’est complètement déshabillé. Miou-Miou, en pleurs, paraît aussi passer un mauvais moment. Ce que la scène montre en réalité est la manifestation d’un amour corrompu par l’industrie érotique. Si Christine est allée aussi loin, c’est bien pour montrer à François ce qu’il s’apprête à faire avec son film. En allant aussi loin, Christine montre toute l’étendue de l’horreur dans laquelle s’est engagé Perrin.
Il convient tout de même de poser une limite. En effet, sur cette scène et à d’autres moments du film, On aura tout vu ! se place dans un certain voyeurisme. Frôlant plusieurs fois la limite, le film, en cherchant à montrer l’industrie du porno, tombe parfois dans le gratuit, dans un pur et simple érotisme où les femmes sont sexualisées et dénudées pour le plaisir du spectateur. Il se fait prendre à son propre jeu et n’arrive pas à s’empêcher de tomber dans les pièges qu’il est précisément en train de décrire.
Toutefois, cela n’est que partiellement le cas. En effet, le film oppose la déshumanisation du cinéma porno à l’amour sincère entre les deux protagonistes. Lautner et Véber associent donc à cette sincérité l’amour d’un vrai cinéma. Un cinéma émouvant, avec des personnages intéressants, une intrigue bien écrite, des images marquantes, une musique mémorable. La romance d’ailleurs est en grande partie incarnée dans la musique de Philippe Sarde, qui construit son magnifique thème romantique sur une opposition. En changeant simplement d’instrument, remplaçant des cordes par un harmonica, Sarde passe de manière très fluide du romantisme à la mélancolie pour ce couple déchiré.
Une relation assez chahutée dans le film, qui se finit pourtant, sans surprise, sur un happy ending. Les deux mondes pourtant en opposition de Morlock et de l’entreprise de Mercier se retrouvent alors sous la coupe de l’argent et Perrin se voit forcé de réaliser son film. Pourtant, dans un dernier retournement de situation provoqué par Christine, Perrin refuse de faire le film et finit par se retrouver dans sa voiture, au fond d’une piscine, avec Christine. Tout le monde s’inquiète et certains plongent dans la piscine. Ils découvrent alors les deux amoureux en train de s’embrasser dans la voiture qui prend l’eau.
Scène de fin donc. Deux amoureux qui s’embrassent. Une voiture au fond d’une piscine. Des corps de toutes les couleurs évoluant autour. Une belle musique romantique. Générique. Voilà. ça, c’est du cinéma !