Comment filmer la fin manifeste d’une famille ? C’est probablement la question qui innerve le nouveau film de Sophie Letourneur. Sophie (Sophie Letourneur) et Jean-Phi (Philippe Katerine), après Voyages en Italie (2023), regagnent la péninsule italienne, cette fois accompagnés des deux enfants Claudine (Bérénice Vernet) et Raoul (Esteban Melero). Cette villégiature, attendue comme un moment privilégié de repos, ne va pas se dérouler comme prévu.
Avec ce nouveau long-métrage, Sophie Letourneur ponctue son étude du couple et de la famille : la Sardaigne se substitue à la Sicile. L’inscription géographique spécifique des deux régions – l’insularité – suggère d’emblée l’idée que la réalisatrice souhaite plonger les quatre personnages dans un isolat comme pour mieux les confronter et empêcher toute échappatoire. Ce voyage se déroule ainsi le plus souvent sur le mode de l’exiguïté : une île au large des côtes sardes est jugée trop petite pour y demeurer davantage qu’une nuit (le séjour se prolongera finalement). La Peugeot 307 du couple est également surchargée d’affaires et on se plaint de ne jamais rien y retrouver. Au fil de leurs étapes, la famille occupe des chambres et cabines où tous doivent évoluer dans la même pièce, les cadres très serrés de ces séquences accentuent alors ce sentiment d’enfermement. Cette promiscuité est favorable à l’émergence des tensions, largement alimentée par le comportement tyrannique du plus jeune rejeton, comme lors d’une séquence dans la chambre du gîte de l’île San Pietro où Sophie, Jean-Phi et Claudine cherchent vainement à se reposer, leurs tentatives étant mise en échec par l’énergie insatiable de Raoul. Ce dernier sature le plus souvent l’espace sonore de ses cris et autres apostrophes incarnant ainsi un élément de perturbation de la quiétude vacancière.
Il y aura finalement une échappatoire, de manière temporaire, pour Jean-Phi, lorsque celui-ci parvient à se soustraire au groupe, cette échappée étant l’occasion d’un long travelling avant filmant le père de Raoul de profil, déambulant, sans but apparent, dans les rues d’une ville côtière. Chaque occasion lui semble bonne, comme une crainte quant à l’état des amortisseurs de la voiture, motivant son départ de la plage et donc du délestement de la charge de la surveillance de la progéniture. Pour autant, et c’est là une des grandes forces du long-métrage, ces scènes en extérieur aux compositions pourtant plus amples n’augurent pas un effet d’ouverture, puisque le membre qui s’extrait est toujours happé par le groupe. Le film documente, dans tous les sens du terme, la déliquescence d’une structure familiale annoncée dès les premières minutes alors que les deux parents effectuent l’essentiel du voyage séparément, procédé qui se répétera en fin de séjour, laissant entendre que cette parenthèse oisive n’a rien résolu. A l’instar de Voyage en Italie, L’Aventura travaille une logique de l’après-coup : ce qui est donné à voir est le plus souvent déjà passé, évoqué par les différents protagonistes qui tentent de se rappeler, enregistrement sonores à l’appui, ce qui a été dit et fait. Cette démarche de captation des moments partagés sème un trouble diégétique entre ce qui est spontanément advenu et ce qui a été construit, renouvelant ainsi l’intérêt du spectateur qui guette les variations entre le discours et l’image. Le dispositif est d’ailleurs remis en question par Jean-Phi dont le doute est immédiatement balayé par Claudine, comme si le métrage de Letourneur opérait une interrogation ontologique pour mieux réaffirmer son existence. La fiction, dans la geste letournienne, apparaît supérieure au réel.
Image de couverture © Arizona Distribution
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Se retrouver pour s’éloigner : L’Aventura (Sophie Letourneur, 2025)
Comment filmer la fin manifeste d’une famille ? C’est probablement la question qui innerve le nouveau film de Sophie Letourneur. Sophie (Sophie Letourneur) et Jean-Phi (Philippe Katerine), après Voyages en Italie (2023), regagnent la péninsule italienne, cette fois accompagnés des deux enfants Claudine (Bérénice Vernet) et Raoul (Esteban Melero). Cette villégiature, attendue comme un moment…