L’amour fait partie de l’intériorité humaine, qu’il soit fraternel, parental, épisodique, immature, mature, chaque être aime ou a aimé d’une certaine manière. Certains amours s’enterrent dans l’ombre, les années passant, et d’autres résistent à la force du temps. C’est pour lutter contre ces instants fugitifs que la cinéaste Chloé Barreau, depuis ses 16 ans, se munit de sa caméra pour filmer chaque instant de vie, refusant d’oublier ses divers amours, partagés entre Paris — où elle fait ses études de lettres modernes à la Sorbonne — et Rome. Elle filme, écrit des lettres, en reçoit, et préserve le tout ; entre amour de jeunesse, passion, relation à distance, Chloé cumule les tentations telle une véritable amoureuse de l’amour. Pourtant, Fragments d’un parcours amoureux confronte ses anciennes vidéos prises en 4:3 à douze de ses ex qui, chacun, face à la caméra, en gardent une trace indélébile. Chloé Barreau, romantique Petit Poucet, laisse derrière ses pas de bons et de mauvais souvenirs, chacun animés par une obsession amoureuse.

L’intimité se dissout peu à peu pour que le documentaire fasse dialoguer intime et extime, révélant l’intériorité même de l’amour, à la fois ses qualités et ses défauts, ses rouages et ses chutes. Le portrait de chacun de ses amours s’accumulent, laissant apercevoir des figures parfois connues — à l’image d’Anna Mouglalis dont la voix rauque a très récemment marqué les écrans avec La mer au loin (Saïd Hamich) — et permettant l’introspection d’un amour décomposé, véritable ou de passage.

À ces différents portraits se répondent des images des années 90, celles filmées par la petite caméra de la jeune étudiante Chloé Barreau qui par l’alternance de ces plans écrit peu à peu l’histoire de ses amours  transitoires jusqu’à arriver à une véritable fresque mêlant à la fois mémoire et présent. Si Fragments d’un parcours amoureux se révèle être un joli documentaire sur le désir, la jeunesse, l’amour et ses failles, cela se joue surtout dans la pluralité de ses points de vues qui permet au film de ne pas se restreindre à une seule issue, et faisant des ex de véritables personnages, chacun victimes du donjuanisme et de ses multiples tentations.

Au fur et à mesure des images mais aussi de ces lettres pour la plupart lues en voix-off, le spectateur assiste à la construction d’un personnage mûrissant : chaque interviewé témoigne d’une Chloé différente mais particulièrement lassée de ses amours, multipliant les conquêtes en quête d’une vie habituée à l’oubli, faisant d’elle un personnage paradoxal puisqu’à la fois spectrale mais aussi mystérieusement immuable pour quiconque l’ait connu; un amour intraçable et fuyant pour un personnage errant. En plus d’un regard porté sur la cinéaste, le documentaire amène à une véritable réflexion personnelle sur le passé sentimental de chacun, apportant au film une double réception : sa réalisatrice d’une part et les spectateurs d’une autre. Au-delà d’un simple conte personnel, une réflexion naît de cette fresque de vie, à la fois brisée et vivifiée par une passion.

Sonnant tel une longue nostalgie amoureuse, Fragments d’un parcours amoureux témoigne d’une passion à la fois profonde et épisodique, le titre semble en indiquer son destin néfaste : le spectateur assiste à la rédemption de Chloé Barreau qui tire un trait sur son passé amoureux pour en récupérer des bribes, des débris ; de ces fragments, elle en tire une oeuvre dénuée de toute intimité, touchant à la profondeur de l’âme humaine.


Image de couverture © Destiny Films


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