Le cinéma d’Europe de l’Est s’est souvent prêté au jeu du film d’enfance ou traitant de l’adolescence permettant, durant la Guerre Froide, par ce regard naïf et innocent qui en découle, de critiquer le régime soviétique par un biais différent. Le cinéma lituanien n’est pas exempt d’excellents films sur le sujet, et les réalisateurs Algirdas Araminas (Andrius, 1980) ou Arūnas Žebriūnas (Domas le rêveur, 1973 ou La Belle, 1969) en ont donné ses lettres de noblesse. Il est donc peu étonnant qu’après la chute de l’URSS et la fin de la censure soviétique, les cinéastes lituaniens perpétuent un cinéma à travers le regard des plus jeunes.
C’est dans ce sens que la réalisatrice Saulé Bliuvaité interroge la vie de la jeunesse lituanienne du XXIème siècle tout en s’inspirant de ses propres expériences.
Avec Toxic, la cinéaste rompt dans la manière de faire avec le cinéma adolescent de la période soviétique en proposant un film loin de la naïveté de ses prédécesseurs. Le film nous plonge sans concession dans la triste vie de plusieurs adolescentes d’un quartier pauvre d’une ville lituanienne de nos jours.
Enfermées dans une misère extrême, le film dépeint une Lituanie pauvre, sale et réaliste. Proches d’une centrale nucléaire et d’un bidonville, les adolescentes qui hantent le premier long métrage de Saulé Bliuuvaité ne semblent avoir comme seul échappatoire que de devenir mannequin, seule option viable pour quitter le pays et devenir « riche ».
Intéressant premier long métrage, Toxic ne fait pas dans la demi-mesure. La mise en scène est crue et nous plongé dans un quotidien que personne ne peut envier : celui d’une adolescente prête à aller avaler un ténia en gélule trouvé sur internet pour perdre deux misérables kilos afin de réaliser un rêve illusoire et fuir un monde qui ne peut rien lui apporter de bien. Jamais nous ne verrons ces adolescentes à l’école, au centre commercial, ou encore envisager un avenir autre que le mannequinat. Le film est jusqu’au-boutiste dans le sens où il ne laisse envisager aucune autre possibilité de vie que celle déjà citée, donnant l’impression d’un pays qui semble avoir totalement abandonné sa jeunesse et son éducation. Ce constat ne se limite pas uniquement à la Lituanie, mais à l’ensemble du monde occidental, où l’éducation n’est plus vue comme un échappatoire à la misère mais comme une perte de temps et d’argent.
Toxic est un film troublant, mettant en scène des corps d’adolescentes prêtes à tous les sacrifices pour ne rien obtenir, la réalisatrice se permet de tout montrer sans jamais prendre le spectateur par la main. De la prise d’un ténia donc, à la récurrente mise en scène d’adolescentes se faisant vomir sous la pression de la compétition du milieu du mannequinat. C’est sûrement sur ce point que le film pèche, à vouloir trop en montrer, il s’étire inutilement sur des détails qu’un spectateur comprend sans forcément le voir. Le film refuse bien trop souvent le hors champ et se révèle finalement trop frontal pour convaincre, faisant ressentir au spectateur soit un dégoût total, soit un ennui profond, qui finit par le priver de toute identification aux personnages. De plus, premier long métrage oblige, Saulé Bliuvaité est coincée entre la volonté d’affirmer son style, déjà initié dans ses précédents courts métrages comme Limousine en 2021, et la sur-référenciation formelle de tout un pan du cinéma sur l’adolescence depuis une trentaine d’années. Entre une esthétique mêlant Larry Clark, Harmony Korine et des films d’Europe de l’Est plus récents comme The Tribe (Myroslav Slaboshpytskiy, 2014), Toxic peine à trouver son style et les références sautent parfois tellement aux yeux qu’elles nous sortent du film.
Pour autant, le film n’est pas exempt de très beaux moments, une poésie incroyable se dégage de plusieurs scènes surtout lorsque nous sortons enfin du thème de mannequinat, à l’image de cette belle manière de filmer les décors semi-urbains entourant une centrale nucléaire, ou la beauté qui peut jaillir de ces relations adolescentes ou du père d’une des protagonistes, qui va jusqu’à vendre sa voiture pour financer les rêves de sa fille quand bien même son absence est remarquée depuis le début du film. L’amour paternel prend, par moment, le dessus sur la misère et l’égoïsme des personnages pour transcender le métrage grâce à une mise en scène subtile d’une étreinte inespérée entre un père et sa fille.
Toxic est un film de Saulė Bliuvaitė (16/04/2025)
-
Chroniques fidèles survenues au siècle dernier à l’hôpital psychiatrique de Blida-Joinville, au temps où le Docteur Frantz Fanon était Chef de la cinquième division entre l’an 1953 et 1956
Ce texte apporte un contre point à notre autre texte consacré au même film, disponible ICI Alors que les tensions diplomatiques entre la France et l’Algérie atteignent un pic inédit depuis la guerre d’indépendance, le cinéma semble redécouvrir – ou enfin découvrir – la personne de Frantz Fanon. Figure pourtant centrale de la pensée décoloniale,…
-
Peacock (Bernhard Wenger)
Matthias (Albrecht Schuch), un viennois trentenaire, travaille pour une société de location de proches, domaine dans lequel il excelle, cependant, sa vie sociale s’avère plus délicate. Si le film fait montre de drôlerie, il ne se départit pas de l’inanité de la vie de ces personnes d’âge moyen dont les motifs de satisfaction reposent sur…
-
Super Happy Forever (Kohei Igarashi) : artefacts épars d’un monde perdu
Sano (Hiroki Sano) séjourne dans un hôtel d’Izu avec son ami Miyata (Yoshimori Miyata), à la recherche d’un objet perdu, il apparaît que ce n’est pas la première fois qu’il se rend en ces lieux. Après Hold Your Breath Like A Lover (2015) et la co-réalisation de Takara, la nuit où j’ai nagé (2018, Damien…
-
Arnon, un élève modèle (Sorayos Prapapan, Thaïlande, 2022) : lutter ou se conformer ?
Arnold (Korndanai Marc Dautzenberg), 18 ans, de retour au pays après une année d’échange aux Etats-Unis, effectue son année de Terminale dans un lycée de Bangkok. Brillant élève, il s’interroge sur son avenir. Inspiré d’un mouvement étudiant survenu en 2020, le premier long-métrage de Sorayos Prapapan dresse le portrait acerbe d’une jeunesse thaïlandaise en butte…
-
Frantz Fanon – Abdenour Zahzah
Chroniques fidèles survenues au siècle dernier à l’hôpital psychiatrique de Blida-Joinville, au temps où le Docteur Frantz Fanon était Chef de la cinquième division entre l’an 1953 et 1956 — pour son titre complet, simplifié simplement Frantz Fanon — cherche à donner une idée de qui est ce psychiatre noir, anticolonialiste et fervent activiste antiraciste.…
-
Seinfeld, fini de rire
Peut-on rire de l’absurde sans sombrer ? C’est ce que propose d’analyser Hendy Bicaise dans son essai Seinfeld, Fini de rire. Un titre pour le moins étonnant lorsqu’on connaît cette sitcom terriblement drôle, qui raconte les petits riens du quotidien de quatre amis : l’humoriste Jerry Seinfeld, Elaine, Kramer et George. Créée cinq ans avant…
-
Petit tour (du monde) des avant-premières du FEMA
Le Festival La Rochelle Cinéma est l’occasion de se projeter sur l’année cinéphilique qui vient, à la manière de son homologue cannois. En effet, on y découvre quelques avant-premières de film qui irrigueront les agendas des critiques sur les quelques semaines à venir. Cet article est un rapide tour d’horizon de certains films qui ont…
-
L’oeil dans la tombe : Les Linceuls (David Cronenberg
Clinique, aride, dévitalisé… Voilà l’énumération d’adjectifs qui se formait dans mon esprit à la sortie de mon premier visionnage des Linceuls. Le dernier opus de Cronenberg est définitivement macabre, mal aimable et, à en croire les agrégateurs de retours spectateurs, tout aussi mal-aimé. Pourtant, si mon avis initial concordait avec cette réception négative générale, je…
-
Se retrouver pour s’éloigner : L’Aventura (Sophie Letourneur, 2025)
Comment filmer la fin manifeste d’une famille ? C’est probablement la question qui innerve le nouveau film de Sophie Letourneur. Sophie (Sophie Letourneur) et Jean-Phi (Philippe Katerine), après Voyages en Italie (2023), regagnent la péninsule italienne, cette fois accompagnés des deux enfants Claudine (Bérénice Vernet) et Raoul (Esteban Melero). Cette villégiature, attendue comme un moment…
-
Images d’une résistance : My Stolen Planet (Farahnaz Shafiri, 2025)
Premier long-métrage distribué en France de Farahnaz Shafiri, My Stolen Planet revient, avec l’aide d’archives privées, sur près de cinquante ans de lutte contre la République Islamique. Rapporter des images clandestines d’une société sous le joug d’une dictature devient un moyen d’expression majeur pour les cinéastes iraniens depuis les premières réalisations de Jafar Panahi. Farahnaz…