Documentaire biographique sur le Docteur Izzeldin Abuelaish, Un médecin pour la paix (I Shall Not Hate) retrace la vie et le combat pour la paix d’un médecin palestinien ayant perdu trois filles et une nièce lors du bombardement de sa maison en 2009 par l’armée Israélienne à Gaza.

Le film de Tal Barda prend le temps d’adapter fidèlement l’essai biographique du docteur en montrant avec minutie l’ensemble des étapes de sa vie et en laissant voir le processus intérieur de cet homme l’amenant, dès son plus jeune âge et malgré les drames qu’il va vivre, à toujours se battre pour la paix sans jamais se laisser gangrener par la haine de l’autre.

Pour rendre visible et tangible la philosophie du docteur Abuelaish et de la vie de sa famille, Tal Barda et son équipe choisissent d’osciller entre différentes mises en scène. La grande majorité du film tend vers la forme du reportage. L’accumulation d’images d’archives et d’entretiens avec les acteurs des événements face caméra peut donner cette impression, obligeant même le monteur à ajouter une datation pour l’ensemble des événements et un compte à rebours « morbide » avant et après la tragédie de 2009. Quand bien même, le concept est très juste et adaptée au sujet traité – si l’on excepte le compte à rebours –, laissant que peu d’ouverture à des envolées lyriques ou à une forme davantage cinématographique de son documentaire, il est appréciable de voir, à plusieurs reprises, des volontés de mise en scène dépassant le simple cadre de l’essai biographique et du reportage.

La présence de nombreux passages en animation, venant illustrer des événements de la vie quotidienne du Docteur Abuelaish et de sa famille avant la tragédie de 2009, permet de rendre le film davantage accessible à un public plus jeune, mais également d’illustrer ce qui n’est plus. L’animation vient illustrer l’horreur avec distance et combler un vide de la même manière qu’a pu le faire Ari Folman dans Valse avec Bachir. Ce sont les passages les plus joyeux (la vie de famille) mais aussi les plus dramatiques (le décès de sa femme, l’attaque du 16 janvier 2009) que l’animation vient magistralement illustrer en rendant visible l’invisible, la mort de la plus belle des manières.

Au récit du Docteur, Tal Barda ajoute des scènes de vie de Gazaouis permettant de livrer des moments hors du temps d’une région déchirée par la guerre, à la fois par des plans profondément troublants sur des visages ou des enfants au détour d’une rue. Ces séquences permettent au spectateur de témoigner de la vie dans ce lieu si lointain du public occidental et trop souvent montré en temps de guerre, mais également de la réalité de la vie en ce même lieu. Une vie détruite par des années de conflit qui, même en temps de paix, laisse des stigmates durables sur les corps, les bâtiments et les visages de ces enfants qui hantent davantage les lieux qu’y vivant.

L’ensemble de ces idées de mise en scène permet un tout cohérent pour raconter le drame du Docteur Abuelaish, représentatif de l’ensemble des drames qui frappent depuis bien trop longtemps cette région et les peuples qui y résident. L’utilisation sûrement trop appuyée de la musique donne parfois l’impression d’une volonté d’accentuer la dramatisation des événements dont les images suffisent largement. La forme documentaire d’Un médecin pour la paix s’accompagne de cet élément qui dépasse son concept initial, appuyant ici l’émotion par la musique, à l’instar des films de fiction.

Pour autant, Un médecin pour la paix est un film éminemment nécessaire, traitant d’une tragédie qui en pousserait certains vers la haine, la détestation et la volonté de  vengeance ; le film propose un message de paix universel qui va au delà de la simple fin du conflit dans la région et qui dépasse les simples frontières du conflit israélo-palestinien.

L’éducation vantée par le docteur Abuelaish est également un autre vecteur de paix important. Tal Barda donne à voir la réussite scolaire de Shatha, hospitalisée et en plein deuil de ses sœurs, mais aussi l’éducation qui a permis à Izzeldin Abuelaish de sortir de la misère et de devenir le premier médecin palestinien à travailler dans un hôpital en Israël. L’instruction est montrée comme un réel moyen de sortir de cet engrenage, de ce conflit, et se révèle être  une bouffée d’oxygène dans un monde occidental où l’éducation est malmenée, démunie et n’est plus vue comme une manière de sortir de l’obscurantisme et de la misère. Pour pouvoir réfléchir à la paix, à un message aussi universel que celui prôné par le film, l’éducation semble toujours vue, à juste titre, comme une solution.Enfin, lorsqu’au détour d’une conférence de presse, un journaliste demande à la fille du docteur Abuelaish (Shatha) si elle est en colère, elle répond très justement : « Je suis en colère de devoir me battre pour ça, c’est à la victime de demander justice ? ». Ce message universel de paix et la démarche de cet homme et de sa famille, rappellent les propos de Spinoza : « La paix n’est pas l’absence de guerre, c’est une vertu, un état d’esprit, une volonté de bienveillance, de confiance, de justice ». C’est peut-être le plus beau lègue que ce film peut offrir au monde…


Crédit de l’image de couverture : Filmoption.

Un médecin pour la paix est un film de Tal Barda, au cinéma le 23 avril 2025.

Notre interview avec la cinéaste est à découvrir en cliquant ICI


  • Chroniques fidèles survenues au siècle dernier à l’hôpital psychiatrique de Blida-Joinville, au temps où le Docteur Frantz Fanon était Chef de la cinquième division entre l’an 1953 et 1956

    Ce texte apporte un contre point à notre autre texte consacré au même film, disponible ICI Alors que les tensions diplomatiques entre la France et l’Algérie atteignent un pic inédit depuis la guerre d’indépendance, le cinéma semble redécouvrir – ou enfin découvrir – la personne de Frantz Fanon. Figure pourtant centrale de la pensée décoloniale,…

  • Peacock (Bernhard Wenger)

    Matthias (Albrecht Schuch), un viennois trentenaire, travaille pour une société de location de proches, domaine dans lequel il excelle, cependant, sa vie sociale s’avère plus délicate. Si le film fait montre de drôlerie, il ne se départit pas de l’inanité de la vie de ces personnes d’âge moyen dont les motifs de satisfaction reposent sur…

  • Super Happy Forever (Kohei Igarashi) : artefacts épars d’un monde perdu

    Sano (Hiroki Sano) séjourne dans un hôtel d’Izu avec son ami Miyata (Yoshimori Miyata), à la recherche d’un objet perdu, il apparaît que ce n’est pas la première fois qu’il se rend en ces lieux.  Après Hold Your Breath Like A Lover (2015) et la co-réalisation de Takara, la nuit où j’ai nagé (2018, Damien…

  • Arnon, un élève modèle (Sorayos Prapapan, Thaïlande, 2022) : lutter ou se conformer ?

    Arnold (Korndanai Marc Dautzenberg), 18 ans, de retour au pays après une année d’échange aux Etats-Unis, effectue son année de Terminale dans un lycée de Bangkok. Brillant élève, il s’interroge sur son avenir. Inspiré d’un mouvement étudiant survenu en 2020, le premier long-métrage de Sorayos Prapapan dresse le portrait acerbe d’une jeunesse thaïlandaise en butte…

  • Frantz Fanon – Abdenour Zahzah

    Chroniques fidèles survenues au siècle dernier à l’hôpital psychiatrique de Blida-Joinville, au temps où le Docteur Frantz Fanon était Chef de la cinquième division entre l’an 1953 et 1956 — pour son titre complet, simplifié simplement Frantz Fanon — cherche à donner une idée de qui est ce psychiatre noir, anticolonialiste et fervent activiste antiraciste.…

  • Seinfeld, fini de rire

    Peut-on rire de l’absurde sans sombrer ? C’est ce que propose d’analyser Hendy Bicaise dans son essai Seinfeld, Fini de rire. Un titre pour le moins étonnant lorsqu’on connaît cette sitcom terriblement drôle, qui raconte les petits riens du quotidien de quatre amis  : l’humoriste Jerry Seinfeld, Elaine, Kramer et George. Créée cinq ans avant…

  • Petit tour (du monde) des avant-premières du FEMA

    Le Festival La Rochelle Cinéma est l’occasion de se projeter sur l’année cinéphilique qui vient, à la manière de son homologue cannois. En effet, on y découvre quelques avant-premières de film qui irrigueront les agendas des critiques sur les quelques semaines à venir. Cet article est un rapide tour d’horizon de certains films qui ont…

  • L’oeil dans la tombe : Les Linceuls (David Cronenberg

    Clinique, aride, dévitalisé… Voilà l’énumération d’adjectifs qui se formait dans mon esprit à la sortie de mon premier visionnage des Linceuls. Le dernier opus de Cronenberg est définitivement macabre, mal aimable et, à en croire les agrégateurs de retours spectateurs, tout aussi mal-aimé.  Pourtant, si mon avis initial concordait avec cette réception négative générale, je…

  • Se retrouver pour s’éloigner : L’Aventura (Sophie Letourneur, 2025) 

    Comment filmer la fin manifeste d’une famille ? C’est probablement la question qui innerve le nouveau film de Sophie Letourneur. Sophie (Sophie Letourneur) et Jean-Phi (Philippe Katerine), après Voyages en Italie (2023), regagnent la péninsule italienne, cette fois accompagnés des deux enfants Claudine (Bérénice Vernet) et Raoul (Esteban Melero). Cette villégiature, attendue comme un moment…

  • Images d’une résistance : My Stolen Planet (Farahnaz Shafiri, 2025)

    Premier long-métrage distribué en France de Farahnaz Shafiri, My Stolen Planet revient, avec l’aide d’archives privées, sur près de cinquante ans de lutte contre la République Islamique.  Rapporter des images clandestines d’une société sous le joug d’une dictature devient un moyen d’expression majeur pour les cinéastes iraniens depuis les premières réalisations de Jafar Panahi. Farahnaz…