Du 22 au 28 janvier a eu lieu la 11e édition du festival Viva Cinéma au LUX de Valence, mettant à l’honneur deux cinéastes : Ernst Lubitsch et Sergueï Paradjanov, ainsi que des projections inédites telles que le prochain film de Thierry Frémaux, Lumière, L’aventure continue, à l’occasion des 130 ans du cinéma.
C’est à travers cette programmation variée, traversant les temps, que nous retrouvons notre cinéaste allemand, naturalisé américain. Dans une époque où l’on ne demande qu’à rire, le cinéma historique de Valence décide intelligemment de projeter Haute pègre (1932) qui nous permet d’aborder le réel avec un certain recul comique et joyeux.
Lorsque deux escrocs-voleurs se rencontrent dans un hôtel, une histoire d’amour naît pour laisser place ensuite à un récit mêlant à la fois une romance et le vol : le but est de s’emparer de l’argent de Mme Colet. Ernst Lubitsch parvient dans ce film, sorti peu après l’apparition des films parlants, une œuvre laissant peu place au silence. La dynamique des dialogues est une première force du film, contribuant pour beaucoup à son humorisation. La première scène du film, avec le serviteur qui accepte tout ce que son client demande, parfois, avant même que ce dernier ne déclame sa requête d’ailleurs. Les dialogues n’ont rien de superflus et semblent toujours naturels, jamais artificiels. Le fait qu’aucun personnage ne rigole à ces événements absurdes plongent le spectateur dans un visionnage surprenant, face à un film prenant chacune de ses actions au sérieux, même les plus ineptes. Les questions du client cambriolé dans l’hôtel — par Gaston, nous le saurons quelques instants plus tard — sont toutes burlesques, décalées et il en va de même pour les réactions. L’intermédiaire entre le groupe d’enquêteurs et la victime accentue chacune des répliques tandis que la caméra d’Ernst Lubitsch suit ses allers et venus à mesure qu’il fait les traductions.
À ce moment, il doit être 15h45 dans la salle du Lux de Valence et un ensemble de rires à plein cœur résonnent dans la salle. Ernst Lubitsch, par sa caméra, a vaincu le silence d’une salle pour le plonger dans un atmosphère enjouée.
Parmi tous ces rires se dresse aussi une histoire de romance, transformant le film en une véritable comédie romantique, faisant dialoguer l’hilarité au service parfois de l’amour. La relation entre Gaston et Lily est l’archétype même de cet argument. Le premier dîner que l’on voit des deux personnages se transforment en un théâtre de petits vols, du plus audacieux (montre à gousset) au plus coquin (jarretières). Les masques se dévoilent puisque la femme affirme connaître la véritable facette de Gaston, et inversement. Chacun montrera à l’autre ce qu’il lui a volé, transformant le repas romantique en un comique de répétition hilarant. Cette scène sert d’ailleurs de boucle au film puisqu’elle le débute d’une part — en quelque sorte du moins, à quelques minutes près — et le termine, dans la voiture. Gaston et Lily sont filmés à l’arrière d’un taxi, la femme est en colère contre son compagnon à cause de sa relation avec Mme Colet. Les visages vont se défaire pour ne pas faire du film un récit romantique à la fin tragique lorsque Gaston s’apercevra que Lily lui a volé le collier qu’elle voulait tant, et qu’il souhaitait lui offrir en guise d’excuses. Le rire clôt le film et la salle est hilare.
Festival Viva Cinéma 11e édition, du 22 au 28 janvier 2025 au Lux de Valence (Drôme)
Pour en savoir plus, c’est ICI
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