Le nouveau roman de Pierre-Yves Touzot s’inscrit dans une double continuité, celle de l’œuvre de l’auteur, et une autre plus large qui est celle des œuvres cryptiques qui invitent à se perdre. La première est bien évidemment le fruit du travail de toute une vie pour cet écrivain, qui à parcouru le monde et les grands espaces naturels, dont ils s’inspirent grandement ici. Son livre relate la quête d’un homme, qui dix ans après le décès de sa compagne revient sur les lieux de l’accident, Oldforest une réserve naturelle canadienne, pour essayer de percer les secrets de ce territoire. Sur place, ce détective en herbe se retrouve à devoir questionner toute une communauté étrangement fermée sur elle-même pour tenter de savoir ce qui se trame réellement ici. Une grande partie des péripéties rencontrées sont donc des obstacles naturels – on peut supposer ici que l’auteur s’inspire de son propre tour du monde réalisé en 2019 – tels qu’une forêt enneigée, de mystérieux animaux et de la survie en milieu hostile. La description des environnements évoque un genre littéraire particulièrement en vogue aux Etats-Unis, les récits de voyage à travers la nature, dont l’auteur en à écrit plusieurs exemples, notamment Presque Libre (2022). Au fond, Oldforest est une synthèse des écrits précédents de Pierre-Yves Touzot.
En plus de cela l’auteur à été scénariste et réalisateur au cinéma, et cela se ressent dans la seconde continuité évoquée plus haut : le livre résonne beaucoup avec des séries cryptiques – Lost et Wayward Pines entre autres – toutes descendantes spirituelles de Twin Peaks. De manière plus générale, il est certain que l’œuvre de David Lynch est une influence majeure dans cette histoire d’une petite ville mystérieuse prête à tout pour cacher de sombres secrets. Pierre-Yves Touzot réussit, à travers son écriture, à plonger le lecteur au cœur de ce type d’œuvres cryptiques. Il y a deux types de chapitres dans le roman, ceux du point de vue du protagoniste, et les autres, d’un point de vue indéterminé qui semble pouvoir écouter d’autres personnages sans qu’ils le sachent. Le premier type de chapitre nous force donc à être comme le personnage, perdu à essayer démêler toute cette mystérieuse intrigue, il tente d’assembler le peu d’éléments qu’il possède et de se sortir de dangereuses situations. Une structure relativement classique qui devient subliment occulte grâce au second type de chapitre, les fameux intermèdes en italiques, qui nous place dans une drôle de position. Nous sommes à la fois un peu plus savant que le protagoniste puisque nous avons accès à des bribes d’informations supplémentaires, mais sans pouvoir véritablement être qualifié d’omniscient. Nous devons donc nous même mener une enquête, parallèle à celle du personnage principal, pour comprendre et décrypter les divers éléments que nous avons à notre disposition. Un exercice particulièrement stimulant qui fait de Oldforest un thriller addictif, qu’on ne veut pas lâcher avant d’avoir toutes les réponses, et dans le même temps il y a aussi un effet satisfaisant à ne pas tout savoir, à accepter de vivre dans un monde mystérieux le temps de 300 pages. La fin du livre est également dans cette drôle de zone grise puisqu’il y a à la fois des réponses à certaines de nos questions, et dans le même temps de nouvelles qui apparaissent. On sait d’avance que les deux suites « Les Secrets d’Oldforest» et «Retour à Oldforest» vont paraître en novembre 2025 et en avril 2026. Nous serons au rendez-vous pour savoir si le mystère disparaîtra ou deviendra au contraire de plus en plus lynchien.
Oldforest est un livre de Pierre-Yves Touzot paru aux Éditions La Trace.
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