Maria, 8 ans, vit à Londres et entretient une relation fusionnelle avec sa mère, allant jusqu’à se créer un monde fantaisiste, foutraque et coloré dans leur petite maison de banlieue. Lorsque sa mère se blesse gravement en jouant, Maria est placée dans une famille d’accueil dans laquelle elle restera jusqu’à sa majorité
Après une première partie classique, proche du cinéma social britannique à la Ken Loach sur un milieu défavorisé dans le Londres des années 70, le métrage prend une tout autre tournure en cherchant viscéralement à imager les relents que peuvent avoir les traumatismes de la jeunesse sur une jeune adulte en fin de puberté cherchant à affirmer son identité.
A la suite d’un événement semblant au premier regard presque anodin, la remise des cendres de sa mère biologique à Maria qu’elle n’a pas vu depuis 10 ans, la pensant même déjà décédée, le récit bascule. Le personnage principal et le métrage se transforme en réflexion sur l’horreur des sentiments refoulés. Maria se retrouve à flirter avec la saleté, à dormir dans des poubelles, à se lancer corps et âme dans une relation amoureuse sans concrétisation possible, découvrant par là même sa sexualité.
Frontalement confrontée à la mort d’une mère qu’elle ne connaît plus, Maria est totalement chamboulée Cherchant à retrouver un passé révolu et une mère qui n’est plus, Maria recrée dans sa chambre l’antre maternelle dont elle se souvient vaguement, composé d’objets de récupération, de désordre illustré par les poubelles et la saleté, et de ce bazar ayant provoqué sa séparation d’avec sa mère. Tout cela lui permettait, dans son enfance, de voyager dans un monde au-delà de son quotidien de fille pauvre londonienne.
La deuxième partie du film peut dans un premier temps perturber et même dégoûter le spectateur.Mais le film parvient à organiser avec brio ce changement de ton et fait réellement ressentir le désespoir et la tristesse, jamais apparente, de son personnage principal qui subit une perte de repère que la mise en scène accompagne par des moments lancinants, des mouvements de caméra plus brutaux représentant aussi bien la détresse que la colère. En se centrant uniquement sur Maria, la caméra devient la témoin des changements de son personnage et s’adapte, par ses placements judicieux ou son passage à l’épaule d’une adolescente qui n’a plus les pieds dans la réalité.
A l’image d’autres réalisateurs de ce « nouveau cinéma britannique » comme récemment avec Bird d’Andrea Arnold (2024) ou encore How to have sex de Molly Manning Walker (2023) Luna Carmoon cherche à identifier et montrer le mal-être adolescent et y parvient avec une beauté poétique jamais complaisante et toujours très juste. Comme Bird a su le faire en début d’année, se rapprochant grandement de Bird, Luna Carmoon évite le fantastique, mais laisse constamment planer le doute d’une possible rupture vers ce genre. La mutation de son personnage se fait donc dans un réalisme frontal digne des plus grands films sociaux britanniques.
L’autre intérêt du métrage repose dans son placement temporel. Situant son film dans les années 80-90, la réalisatrice décrit aussi bien une époque qu’elle semble davantage connaître, et met de côté toutes les technologies contemporaines qui pourraient venir atténuer son propos (ce qui est le cas de la série Adolescence par exemple, où les technologies prennent le pas sur la construction psychologique réelle du personnage). Finalement, l’adolescence, qu’elle soit obstruée par les réseaux sociaux ou non, montre les mêmes démons dans la construction d’un être en devenir, et Crasse propose peut-être l’un des plus beaux films sur l’adolescence britannique depuis ceux d’Alan Clarke.
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