L’Agent Secret de Kleber Mendonça Filho fait partie des films de la sélection  « Ici et ailleurs » du festival de la Rochelle. Le but de la sélection est de faire découvrir des films du monde entier, afin de faire valoir la diversité des productions cinématographiques contemporaines. Pour ce faire, les sélectionneurs ont pour habitude de se rendre au Festival de Cannes qui se déroule en amont du FEMA, pour y piocher des films qui valent selon eux d’être montrés à travers cette section. Le cinéaste brésilien est un habitué des festivals internationaux, et avait présenté sa précédente coréalisation, Bacurau, au Festival de Cannes 2019. Par ailleurs, la distributrice présente à la séance pour présenter le film a déclaré que le réalisateur avait écrit le film dans une salle de cinéma française : Utopia à Bordeaux. C’est peu de dire que son destin est intimement lié à l’Europe.

         Le film brésilien cachait assez bien son jeu dans les différentes critiques qui nous sont parvenus de Cannes en mai dernier, certaines insistant sur son scénario cryptique. Il est vrai que Mendonça Filho n’est absolument pas attaché à l’ordre narratif et préfère dresser des grandes lignes de narration que l’on suit globalement dans le film, mais jamais de manière scrupuleuse. Le film est constamment dévié d’une route que le cinéaste n’a pas réellement envie de tracer dans le granit. Il est jalonné par des tas de ruptures de ton comiques, de scènes qui réellement n’apportent rien à l’histoire de cet agent campé par l’excellent Wagner Moura. Il est d’ailleurs accompagné par une galerie de personnages tous plus originaux les uns que les autres, qui ont tous envie de donner une pierre à l’édifice filmique. On sait vraiment gré à Mendonça Filho de penser tout d’abord les scènes comme des blocs avant de les connecter dans son scénario, de bâtir une dramaturgie interne qui leur donne toutes un réel intérêt. Elles passent tous par des genres totalement différents, du comique au drame, en passant par le suspense, entre autres. En définitive, on pourrait appeler ce long-métrage un film-monde. La caméra explore réellement un monde de cinéma, où l’on peut se perdre à l’envi, sans s’emprisonner par des ressorts scénaristiques totalement vains. On pourrait supprimer les trois-quarts des scènes, où en ajouter le double que le résultat serait le même. Le cinéaste laisse une grande place au spectateur pour dresser sa propre histoire dans son film.

         Un autre intérêt de ce dispositif filmique réjouissant est qu’au lieu de se concentrer sur les rebondissements artificiels du film, le spectateur peut contempler la forme de l’objet. Encore faut-il qu’il y ait de la matière à se mettre sous la dent. La première faiblesse de Mendonça Filho est que sa mise en scène, globalement bien ficelée, n’est jamais passionnante ou intrigante. On l’a déjà mentionné, il est capable de faire passer son film d’un régime à l’autre, avec des scènes de genre surprenantes, quasiment horrifiques. Mais une fois la scène passée, elle nous aura marquée parce que pas censée se trouver là, si l’on avait eu affaire à un film classique, et parce que finalement ce qu’il s’y passe est surprenant. Mais jamais une scène ne nous marque par les images. C’est peut-être là que se trouve le nœud du problème de la « forme Filho ». Le film n’est pas seulement un déroulé d’informations comme une série TV peut l’être dans son déroulement. Mais si on se penche sur les scènes, le problème change d’échelle mais est similaire. Elles ne sont pas à valeur informatives, mais n’ont de l’intérêt que par leur déroulé, et très peu comment elles sont créées par le cinéaste.

         Mais finalement, le film n’est jamais désagréable ou indigent visuellement. Au contraire, très coloré, il flatte la pupille du spectateur. Se déroulant sur plusieurs temporalités mais surtout centré autour des années 1970, il semble avoir pour référence les films d’espionnages avec Jean-Paul Belmondo, qu’il cite explicitement lors d’un passage au cinéma des protagonistes. Ces films avaient entre autres pour qualité pour certains, et défaut pour d’autre, leur recherche d’exotisme, que pastichait notamment le deuxième épisode de la trilogie OSS, Rio ne répond plus. On se rend compte que le cinéaste brésilien réalise en fait le processus inverse de Hazanivicius. Celui-ci se moquait de la vision européanisée du Brésil que peuvent avoir les spectateurs occidentaux. Mendonça Filho quant à lui se veut beaucoup plus tendre, voire complaisant avec le regard européen sur son film. En fait il en fait une vitrine exotique où ce spectateur pourra se pavaner comme s’il était en vacances, supplément voyage dans le temps inclus. C’est en fait cette tare qui lui est reproché au Brésil par certains critiques. Kléber Mendonçha Filho caresse les Européens dans le sens du poil. Et dans un jeu de vases communicants, ils le lui rendent bien en le sélectionnant et le récompensant dans des festivals. Finalement, la machine est bien huilée et fonctionne sans anicroche. Et cette mise en scène peu inspirée en est un symptôme flagrant. Secouant un peu son spectateur par ses scènes impromptues, le cinéaste se garde bien d’en plus rendre sa réalisation exigeante. Dans ce film-monde, le spectateur doit se sentir bichonné pour pouvoir observer toutes ces composantes sans être trop secoué, et apprécier un film qui a été fait sur mesure.


Image de couverture © MK Production


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