Avec Partir un jour, Amélie Bonnin signe son premier long métrage, adapté de son court métrage du même nom sorti en 2021, couronné du César du meilleur court un an plus tard. Elle y prolonge ses thèmes de prédilection : le départ, l’attente, et ce qui retient encore. Si le film a sa place dans une programmation grand public, son choix comme film d’ouverture au Festival de Cannes 2025 interroge.
Le film suit Cécile, ancienne lauréate de Top Chef, revenue dans sa ville natale pour une visite qui tourne à l’introspection. Le retour aux sources, la confrontation avec le passé, les chemins de vie différents : autant de thématiques universelles que Bonnin emprunte avec une certaine délicatesse. Le film trouve d’ailleurs sa justesse dans ces moments suspendus, entre deux temporalités, où la réussite sociale entre en collision avec une mémoire plus intime. Comme dans cette scène délicate, au restaurant familial, où Cécile lâche, presque en passant : « Y’a plus qu’ici qu’on fait de la macédoine. » Une remarque en apparence légère, mais qui trahit quelque chose de plus profond : une distance, presque un embarras, face à ce plat populaire qu’elle ne servirait plus dans son propre restaurant. Et pourtant, elle le prépare. Pas par devoir, mais parce qu’il y a là une part d’elle-même, une nostalgie discrète, attachée à ce goût d’enfance. Ce genre de détail, modeste mais éloquent, capte avec justesse cette ambivalence qui illustre le film : la tension entre ce qu’on croit avoir dépassé, et ce qui continue de nous habiter.
Si la diégèse de Partir un jour affirme ce trouble, la mise en scène peine à faire de même. Le film tente d’élargir son propos avec une sous-intrigue autour de l’avortement et de la sororité, mais ces enjeux sont esquissés plus que développés, comme plaqués sur un récit qui préfère l’émotion diffuse à la tension narrative. On comprend malgré tout l’intention : redonner une voix à cette France souvent délaissée par le cinéma, même si, ces dernières années, la ruralité est redevenue un terrain cinématographique fréquenté – comme peuvent en témoigner Chien de la casse, La Pampa ou Les Trois fantastiques. Mais Partir un jour reste dans une zone de confort, trop sage pour troubler ou surprendre.
Avec un cadre majoritairement figé et un paysage provincial filmé de manière aussi aplatie comme si elle ne servait que de décor au récit sans s’approprier le cadre, la réalisation semble datée, comme engloutie dans une esthétique télévisuelle des années 1990 et peine à faire sienne son image. Prône alors le sentiment d’un film inabouti, victime d’un gros manque de caractère dans la mise en scène qui viendrait incarner les tiraillements et réflexions internes de son personnage principal.
Heureusement, la musique vient apporter un contre-champ à ce manque, apportant une certaine émotion et un rythme au premier long-métrage d’Amélie Bonnin : à l’image de la scène finale, portée par le titre du film. Cécile (Juliette Armanet) s’éloigne seule en camion, laissant derrière elle passé et attachements, dans un élan de liberté mélancolique. Indubitablement, cette scène représente tout ce qu’aurait pu devenir le film et résume en un instant tout ce qu’il a du mal à exprimer : ce mélange doux-amer d’appartenance et de détachement, cette joie triste des retrouvailles.
Un karaoké doux-amer, ponctué de flashbacks affectifs et de dialogues qui manquent parfois de naturel. Peut-être voulait-on rappeler, à travers cette histoire de retour au bercail, que même dans un monde en perpétuel mouvement, il y a des lieux et des émotions que l’on ne quitte jamais tout à fait. Un message persiste,, sans doute le plus touchant du film : même lorsque l’on devient une figure publique, que l’on s’éloigne de ses origines, le « devenir-star » ne laisse pas d’œillère face aux lieux, visages et émotions auxquels on revient toujours comme un point d’éternel retour. Partir un jour rappelle que le succès ne guérit pas les souvenirs. Ni les absences.En choisissant ce premier long métrage d’Amélie Bonnin en ouverture de l’édition 2025 du Festival de Cannes, le comité a misé sur la douceur et la nostalgie. Peut-être trop. Car si le film charme à certains moments, il laisse aussi une impression d’inabouti : une chronique provinciale qui aurait pu gagner en ampleur et en audace.
Image de couverture © Les Films du Worso
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